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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/134

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ſur les Idées ſimples. Liv II.

par d’autres beaucoup plus déliées, que celles de l’Air & de l’Eau : & qui peut-être le ſont beaucoup plus, que les particules de l’Air ou de l’Eau ne le ſont, en comparaiſon des pois, ou de quelque autre grain encore plus gros. Cela étant, nous ſommes en droit de ſuppoſer que ces ſortes de particules, différentes en mouvement, en figure, en groſſeur, & en nombre, venant à frapper les différens organes de nos Sens, produiſent en nous ces différentes ſenſations que nous cauſent les Couleurs & les Odeurs des Corps ; qu’une Violette, par exemple, produit en nous les idées de la couleur bleuâtre, & de la douce odeur de cette Fleur, par l’impulſion de ces ſortes de particules inſenſibles, d’une figure & d’une groſſeur particuliére, qui diverſement agitées viennent à frapper les organes de la vûë & de l’odorat. Car il n’eſt pas plus difficile de concevoir, que Dieu peut attacher de telles idées à des mouvemens avec leſquels elles n’ont aucune reſſemblance, qu’il eſt difficile de concevoir qu’il a attaché l’idée de la douleur au mouvement d’un morceau de fer qui diviſe notre Chair, auquel mouvement la douleur ne reſſemble en aucune maniére.

§. 14. Ce que je viens de dire des Couleurs & des Odeurs [1] peut s’appliquer auſſi aux Sons, aux Saveurs, & à toutes les autres Qualitez ſenſibles, qui (quelque réalité que nous leur attribuyions fauſſement) ne ſont dans fond autre choſe dans les Objets que la puiſſance de produire en nous diverſes ſenſations par le moyen de leurs Prémiéres Qualitez, qui ſont, comme j’ai dit, la groſſeur, la figure, la contexture & le mouvement de leurs Parties.

§. 15.Les idées des premiéres Qualitez, reſſemblent à ces qualitez, & celles des ſecondes, ne reſſemblent en aucune maniére. Il eſt aiſé, je penſe, de tirer de là cette concluſion, que les idées des prémiéres Qualitez des Corps reſſemblent à ces Qualitez, & que les exemplaires de ces idées exiſtent réellement dans les Corps, mais que les Idées, produites en nous par les ſecondes Qualitez, ne leur reſſemblent en aucune maniére, & qu’il n’y a rien dans les Corps mêmes qui ait de la conformité avec ces idées. Il n’y a, dis-je, dans les Corps auxquels nous donnons certaines dénominations fondées ſur les ſenſations produites par leur préſence, rien autre choſe que la puiſſance de produire en nous ces mêmes ſenſations : de ſorte que ce qui eſt Doux, Bleu, ou Chaud dans l’idée,

  1. Remarquons ici que dans Des Cartes, dans les Ouvrages de P. Malebranche, dans la Phyſique de Rohault, en un mot dans tous les Traitez de Phyſique compoſez par les Cartesiens, on trouve l’explication des Qualitez ſenſibles, fondée exactement ſur les mêmes Principes que M. Locke nous étale dans ce Chapitre. Ainſi, Rohault ayant à traiter de la Chaleur & de la Froideur, (Chap. XXIII. Part I.) dit d’abord : Ces deux mots ont chacun deux ſignifications : car premierement par la Chaleur , & par la Froideur on entend deux ſentimens particuliers qui ſont en nous, & qui reſſemblent en quelque façon à ceux qu’on nomme douleur & chatouillement, tels que les ſentimens qu’on a quand on approche du Feu, ou quand on touche de la Glace : ſecondement par la Chaleur, & par la Froideur on entend le Pouvoir que certains Corps ont de cauſer en nous ces deux ſentimens dont je viens de parler. Rohault employe la même diſtinction en parlant des Saveurs. Ch. XXIV. des Odeurs, Ch. XXV. du Son, Ch. XXVI. de la Lumiere, & des Couleurs, XXVII.------ Je ſerai bientôt obligé de me ſervir de cette Remarque pour en juſtifier une autre concernant un Paſſage du Livre de M. Locke où il ſemble avoir entierement oublié la maniére dont les Carteſiens expliquent les Qualitez ſenſibles.