Aller au contenu

Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
& des Modes Simples. Liv. II.

& par pluſieurs autres mouvemens continus, mais fort lents, où après certains intervalles, nous appercevons par le changement de diſtance qui arrive au Corps en mouvement, que ce Corps s’eſt mû, mais ſans que nous ayions aucune perception du mouvement actuel.

§. 12.Cette ſuite de nos Idées eſt la meſure des autres ſucceſſions. C’eſt pourquoi il me ſemble, qu’une conſtante & réguliére ſucceſſion d’idées dans un homme éveillé, eſt comme la meſure & la règle de toutes les autres ſucceſſions. Ainſi lorſque certaines choſes ſe ſuccedent plus vîte que nos Idées, comme quand deux Sons, ou deux Senſations de douleur &c. n’enferment dans leur Succeſſion que la durée d’une ſeule idée, ou lorſqu’un certain mouvement eſt ſi lent qu’il ne va pas d’un pas égal avec les idées qui roulent dans notre Eſprit, je veux dire avec la même vîteſſe, que ces idées ſe ſuccedent les unes aux autres comme lorſque dans le cours ordinaire, une ou pluſieurs idées viennent dans l’Eſprit entre celles qui s’offrent à la vûë par les différens changemens de diſtance qui arrivent à un Corps en mouvement, ou entre des Sons & des Odeurs dont la perception nous frappe ſucceſſivement, dans tous ces cas, le ſentiment d’une conſtante & continuelle ſucceſſion ſe perd, de ſorte que nous ne nous en appercevons qu’à certains intervalles de repos qui s’écoulent entre deux.

§. 13.Notre Eſprit ne peut ſe fixer long-temps ſur une ſeule idée qui reſte purement la même. Mais, dira-t-on, « s’il eſt vrai, que, tandis qu’il y a des idées dans notre Eſprit, elles ſe ſuccedent continuellement, il eſt impoſſible qu’un homme penſe long-temps à une ſeule chose ». Si l’on entend par là qu’un homme ait dans l’Eſprit une ſeule idée qui y reſte long-temps purement la même, ſans qu’il y arrive aucun changement, je croi pouvoir dire qu’en effet cela n’eſt pas poſſible. Mais comme je ne ſai pas de quelle maniére ſe forment nos idées, dequoi elles ſont compoſées, d’où elles tirent leur lumiére & comment elles viennent à paroître, je ne ſaurois rendre d’autre raiſon de ce Fait que l’experience, & je ſouhaiterois que quelqu’un voulût eſſayer de fixer ſon Eſprit, pendant un temps conſiderable ſur une ſeule idée, qui ne fût accompagnée d’aucune autre, & ſans qu’il s’y fît aucun changement.

§. 14. Qu’il prenne, par exemple, une certaine figure, un certain dégré de lumiére ou de blancheur, ou telle autre idée qu’il voudra, & il aura, je m’aſſûre, bien de la peine à tenir ſon Eſprit vuide de toute autre idée, ou plutôt, il éprouvera qu’effectivement d’autres idées d’une eſpece différente, ou diverſes conſiderations de la même idée, (chacune deſquelles est une idée nouvelle) viendront ſe préſenter inceſſamment à ſon Eſprit les unes après les autres, quelque ſoin qu’il prenne pour ſe fixer à une ſeule idée.

§. 15. Tout ce qu’un homme peut faire en cette occaſion, c’eſt, je croi, de voir & de conſiderer quelles ſont les idées qui ſe ſuccedent dans ſon Entendement, ou bien de diriger ſon Eſprit vers une certaine eſpèce d’Idées, & de rappeler celles qu’il veut, ou dont il a beſoin. Mais d’empêcher une conſtante ſucceſſion de nouvelles idées, c’eſt, à mon avis, ce qu’il ne ſauroit faire, quoi d’ordinairement il ſoit en ſon pouvoir de ſe déterminer à les conſiderer avec application, s’il le trouve à propos.

§. 16.De quelque maniére que nos Idées ſoient produites en nous, elles n’enferment aucune ſenſation de mouvement. De ſavoir ſi ces différentes Idées que nous avons dans l’Eſprit, ſont produites par certains mouvemens, c’eſt ce que je ne prétens pas exa-