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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/183

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De la Durée.

dont les années ſont fort irréguliéres malgré le mouvement du Soleil dont ils prétendent faire uſage. Un des plus grands embarras qu’on rencontre dans la Chronologie, vient de ce qu’il n’eſt pas aiſé de trouver exactement la longueur que chaque Nation a donné à ſes Années, tant elles different les unes des autres, & toutes enſemble, du mouvement précis du Soleil, comme je croi pouvoir l’aſſurer hardiment. Que ſi depuis la Création juſqu’au Deluge, le Soleil s’eſt mû conſtamment ſur l’Equateur, & qu’il ait ainſi répandu également ſa chaleur & ſa lumiére ſur toutes les Parties habitables de la Terre, faiſant tous les Jours d’une même longueur, ſans s’écarter vers les Tropiques dans une Révolution annuelle, comme l’a ſuppoſé un ſavant & ingenieux ** Mr. Burnet dans un Livre intitulé, Telluris Theoria Sacra. Il eſt different de G. Burnet qui eſt mort Evêque de Salisbury, & d’un autre Burnet, Medecin Ecoſſois. Auteur de ce temps, je ne vois pas qu’il ſoit fort aiſé d’imaginer, malgré le mouvement du Soleil, que les hommes qui ont vêcu avant le Deluge ayent compté par années depuis le commencement du Monde, ou qu’ils ayent meſuré le Temps par Périodes, puiſque dans cette ſuppoſition ils n’avoient point de marques fort naturelles pour les diſtinguer.

§. 21.On ne peut point connoître certainement que deux parties de Durée ſoient égales. Mais, dira-t-on peut-être, le moyen que ſans un mouvement régulier comme celui du Soleil, ou quelque autre ſemblable, on pût jamais connoître que de telles Périodes fuſſent égales ? A quoi je répons que l’égalité de toute autre apparence qui reviendroit à certains intervalles, pourroit être connuë de la même maniére, qu’au commencement on connut, ou qu’on s’imagina de connoître l’égalité des Jours, ce que les hommes ne firent qu’en jugeant de leur longueur par cette ſuite d’Idées qui durant les intervalles leur paſſèrent dans l’Eſprit. Car venant à remarquer par-là qu’il y avoit de l’inégalité dans les Jours artificiels, & qu’il n’y en avoit point dans les Jours naturels qui comprennent le jour & la nuit, ils conjecturerent que ces derniers étoient égaux, ce qui ſuffiſoit pour les faire ſervir de meſure, quoi qu’on ait découvert après une exacte recherche, qu’il y a effectivement de l’inégalité dans les Revolutions diurnes du Soleil ; & nous ne ſavons pas ſi les Révolutions annuelles ne ſont point auſſi inégales. Cependant par leur égalité ſuppoſée & apparente elles ſervent tout auſſi bien à meſurer le Temps, que ſi l’on pouvoit prouver qu’elles ſont exactement égales, quoi qu’au reſte elles ne puiſſent point meſurer les parties de la Durée dans la derniére exactitude. Il faut donc prendre garde à diſtinguer ſoigneuſement entre la Durée en elle-même, & entre les meſures que nous employons pour juger de ſa longueur. La Durée en elle-même doit être conſidérée comme allant d’un pas conſtamment égal, & tout-à-fait uniforme. Mais nous ne pouvons point ſavoir qu’aucune des meſures de la Durée ait la même propriété, ni être aſſûrez que les parties ou Périodes qu’on leur attribuë ſoient égales en durée l’une à l’autre ; car on ne peut jamais démontrer, que deux longueurs ſucceſſives de Durée ſoient égales, avec quelque ſoin qu’elles ayent été meſurées. Le mouvement du Soleil, dont les hommes ſe ſont ſervis ſi long-temps & avec tant d’aſſurance comme d’une meſure de Durée parfaitement exacte, s’eſt trouvé inégal dans ſes différentes parties, comme je viens de dire. Et quoique depuis peu l’on ait employé le Pendule comme un mouvement plus conſtant & plus régulier que celui du Soleil, ou, pour mieux dire, que celui de la Terre ; cependant ſi l’on demandoit à quelqu’un, comment il fait