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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/201

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De l’Infinité. Liv. II.
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naturellement à l’Eſprit, que nous vient, à mon avis, la plus nette & la plus diſtincte idée que nous puiſſions avoir de l’Infinité, dont nous allons parler plus au long dans le Chapitre ſuivant.



CHAPITRE XVII.

De l’Infinité.


§. 1.Nous attribuons immédiatement l’idée de l’Infinité à l’Eſpace, à la Durée & au Nombre.
Qui voudra ſavoir de quelle eſpèce eſt l’idée à laquelle nous donnons le nom d’Infinité, ne peut mieux parvenir à cette connoiſſance qu’en conſiderant à quoi c’eſt que notre Eſprit attribuë plus immédiatement l’infinité, & comment il vient à ſe former cette idée.

Il me ſemble que le Fini & l’Infini ſont regardez comme des Modes de la Quantité, & qu’ils ne ſont attribuez originalement & dans leur prémiére dénomination qu’aux choſes qui ont des parties & qui ſont capables du plus ou du moins par l’addition ou la ſouſtraction de la moindre partie. Telles ſont les idées de l’Eſpace, de la Durée & du Nombre, dont nous avons parlé dans les Chapitres précedens. A la vérité, nous ne pouvons qu’être perſuadez, que Dieu cet Etre ſuprême, de qui & par qui ſont toutes choſes, eſt inconcevablement infini : cependant lorsque nous appliquons, dans notre Entendement, dont les vûës ſont ſi foibles & ſi bornées, notre Idée de l’Infini à ce Prémier Etre, nous le faiſons principalement par rapport à ſa Durée & à ſon Ubiquité, & plus figurément, à mon avis, par rapport à ſa puiſſance, à ſa ſageſſe, à ſa bonté & à ſes autres Attributs, qui ſont effectivement inépuiſables & incompréhenſibles. Car lorſque nous nommons ces attributs, infinis, nous n’avons aucune autre idée de cette Infinité, que celle qui porte l’Eſprit à faire quelque ſorte de réflexion ſur le nombre ou l’étenduë des Actes ou des Objets de la Puiſſance, de la Sageſſe & de la Bonté de Dieu : Actes ou Objets qui ne peuvent jamais être ſuppoſez en ſi grand nombre que ces Attributs ne ſoient toûjours bien au delà,[1] quoi que nous les multipliyons en nous-mêmes avec une infinité de nombres multipliez ſans fin. Du reſte, je ne prétens pas expliquer comment ces Attributs ſont en Dieu, qui eſt infiniment au deſſus de la foible capacité de notre Eſprit, dont les vûës ſont ſi courtes. Ces Attributs contiennent ſans doute en eux-mêmes toute perfection poſſible, mais telle eſt, dis-je, la maniére dont nous les concevons, & telles ſont les idées que nous avons de leur infinité.

§. 2. L’idée du Fini nous vient aiſément dans l’Eſprit. Après avoir donc établi, que l’Eſprit regarde le Fini & l’Infini

  1. Il y a dans l’Anglois, let us multiply them in our Thoughts, as far as we can, with all the infinity of endleſs number, c’eſt-à-dire mot pour mot, multiplions-les en nous-mêmes, autant que nous pouvons, avec toute l’infinité du nombre, ou d’un nombre infini. L’obſcurité que bien des Lecteurs trouveront dans ces paroles de l’Original, pourra m’excuſer auprès de ceux qui trouveront le même défaut dans ma traduction.