Aller au contenu

Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
182
De la Puiſſance. Liv. II.

buées à l’Entendement ou à la Puiſſance d’appercevoir que nous ſentons en nous-mêmes, quoi que l’Uſage ne nous permette d’appliquer le mot d’entendre, qu’aux deux derniéres ſeulement.

§. 6. Ces Puiſſances que l’Ame a d’appercevoir, & de préferer une choſe à une autre, ſont ordinairement déſignées par d’autres noms ; & l’on dit communément, que l’Entendement & la Volonté ſont deux Facultez de l’Ame. Ces mots ſont aſſez commodes, ſi l’on s’en ſert comme on devroit ſe ſervir de tous les mots, de telle maniere qu’ils ne fiſſent naître aucune confuſion dans l’Eſprit des hommes : précaution qu’on a ici un peu négligée, en ſuppoſant, comme je ſoupçonne qu’on a fait, que ces Mots ſignifient quelques Etres réels dans l’Ame, leſquels produiſent les actes d’entendre & de vouloir. Car lorſque nous diſons que la Volonté eſt cette Faculté ſupérieure de l’Ame qui régle & ordonne toutes choſes, qu’elle eſt ou n’eſt pas libre, qu’elle détermine les Facultez inférieures, qu’elle ſuit le dictamen de l’Entendement, &c. quoi que ces expreſſions & autres ſemblables puiſſent être entenduës en un ſens clair & diſtinct par ceux qui examinent avec attention leurs propres Idées, & qui règlent plûtôt leurs penſées ſur l’évidence des choſes que ſur le ſon des mots ; je crains pourtant que cette maniére de parler des Facultez de l’Ame, n’aît fait venir à pluſieurs perſonnes l’idée confuſe d’autant d’Agents qui exiſtent diſtinctement en nous, qui ont différentes fonctions & différens pouvoirs, qui commandent, obéiſſent, & exécutent diverſes choſes, comme autant d’Etres diſtincts, ce qui a produit quantité de vaines diſputes, de diſcours obſcurs & pleins d’incertitude ſur les Queſtions qui ſe rapportent à ces différens Pouvoirs de l’Ame.

§. 7.D’où nous viennent les Idées de la Liberté & de la Neceſſité. Chacun, je penſe, trouve en ſoi-même la Puiſſance de commencer différentes actions, ou de s’en abſtenir, de les continuer ou de les terminer. Et c’eſt la conſideration de l’étenduë de cette Puiſſance que l’Ame a ſur les Actions de l’Homme, & que chacun trouve en ſoi-même, qui nous fournit l’idée de la Liberté & de la Néceſſité.

§. 8.De ce que c’eſt que la Liberté. Toutes les actions dont nous avons quelque idée, ſe réduiſent à ces deux, mouvoir, & penſer, comme nous l’avons déja remarqué. Tant qu’un Homme a la puiſſance de penſer ou de ne pas penſer, de mouvoir ou de ne pas mouvoir, conformément à la préference ou au choix de ſon propre Eſprit, juſque-là Libre. Au contraire, lorſqu’il n’eſt pas également au pouvoir de l’Homme d’agir ou de ne pas agir, tant que ces deux choſes ne dépendent pas également de la préférence de ſon Eſprit qui ordonne l’une ou l’autre, à cet égard l’Homme n’eſt point Libre, quoi que peut-être l’action qu’il fait, ſoit volontaire. Ainſi l’idée de la Liberté dans une certain Agent c’eſt l’idée de la Puiſſance qu’a cet Agent de faire ou de s’abſtenir de faire une certaine action, conformément à la détermination de ſon Eſprit en vertu de laquelle il préfere l’une à l’autre. Mais lorſque l’Agent n’a pas le pouvoir de faire l’une de ces deux choſes en conſéquence de la détermination actuelle de ſa Volonté, que je nomme autrement volition, il n’y a, dans ce cas-là, plus de Liberté ; & l’Agent eſt néceſſité à cet égard. D’où il s’enſuit que là où il n’y a ni penſée, ni volition, ni volonté, il ne peut y avoir de Liberté ; mais que la penſée, la volonté & la volition peuvent ſe trouver