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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/229

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De la Puiſſance. Liv. II.

le que notre Eſprit a donnée à l’action ou à la ceſſation de l’action, qui eſt autant que ſi l’on diſoit, conformément à ce qu’il veut lui-même.

§.16.La Puiſſance n’appartient qu’à des Agens. Il eſt donc évident, que la Volonté n’eſt autre chose qu’une Puiſſance ou Faculté ; & que la Liberté eſt une autre Puiſſance ou Faculté : de ſorte que demander ſi la Volonté a de la Liberté, c’eſt demander ſi une Puiſſance a une autre Puiſſance, & ſi une Faculté a une autre Faculté : Queſtion qui paroît, dès la prémiére vûë, trop groſſierement abſurde ; pour devoir être agitée, ou avoir beſoin de réponſe. Car qui ne voit que les Puiſſances n’appartiennent qu’à des Agens, & ſont uniquement des Attributs des Subſtances & nullement de quelque autre Puiſſance ? De ſorte que poſer ainſi la Queſtion, La Volonté eſt-elle libre ? c’eſt demander en effet, ſi la Volonté eſt une Subſtance, & un Agent proprement dit, ou du moins c’eſt le ſuppoſer réellement : puiſque ce n’eſt qu’à un Agent que la Liberté peut être proprement attribuée. Si l’on peut attribuer la Liberté à quelque Puiſſance, ſans parler improprement, on pourra l’attribuer à la puiſſance que l’Homme a de produire ou de s’empêcher de produire du mouvement dans les parties de ſon Corps, par choix ou par préference : car c’eſt ce qui fait qu’on le nomme libre, c’eſt en cela même que conſiſte la Liberté. Mais ſi quelqu’un s’aviſoit de demander, ſi la Liberté eſt libre, il paſſeroit ſans doute pour un homme qui ne ſait lui-même ce qu’il dit, comme toute perſonne ſeroit jugée digne d’avoir des oreilles ſemblables à celles du Roi Midas, qui ſachant que la poſſeſion des Richeſſes donne à un homme la dénomination de Riche, demanderoit ſi les Richeſſes elles-mêmes ſont riches.

§. 17. Quoi que le mot de Faculté que les Hommes ont donné à cette Puiſſance qu’on appelle Volonté, & qui les a engagez à parler de la Volonté comme d’un ſujet agiſſant, puiſſe un peu ſervir à pallier cette abſurdité, à la faveur d’une adaptation qui en déguiſe le veritable ſens, il eſt pourtant vrai que dans le fond la Volonté ne ſignifie autre choſe qu’une puiſſance, ou capacité de préferer ou choiſir ; & par conſéquent, ſi ſous le nom de faculté l’on la regarde ſimplement comme une capacité de faire quelque choſe, ainſi qu’elle eſt effectivement, on verra ſans peine combien il eſt abſurde de dire que la Volonté eſt, ou n’eſt pas libre. Car s’il peut être raiſonnable de ſuppoſer les Facultez comme autant d’Etres diſtincts qui puiſſent agir, & d’en parler ſous cette idée, comme nous avons accoûtumé de faire lorſque nous diſons que la Volonté ordonne, que la Volonté eſt libre, &c. il faut que nous établiſſions auſſi une Faculté parlante, une Faculté marchante, & une Faculté danſante, par leſquelles ſoient produites les actions de parler, de marcher, & de danſer, qui ne ſont que différentes Modifications du Mouvement, tout de même que nous faiſons de la Volonté & de l’Entendement des Facultez par qui ſont produites les actions de choiſir & d’appercevoir qui ſont que différens Modes de la Penſée. De ſorte que nous parlons auſſi proprement en diſant, que c’eſt la Faculté chantante qui chante, & la Faculté danſante qui danſe, que lors que nous diſons, que c’eſt la Volonté qui choiſit, ou l’Entendement qui conçoit, ou, comme on a accoûtumé de s’exprimer, que la Volonté dirige l’Entendement, ou que l’Entendement obéit ou n’obéit pas à la Volonté. Car diroit, que la puiſſance de parler dirige