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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/253

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De la Puiſſance. Liv. II.

par l’indigence, la maladie, ou quelque force extérieure, comme la torture, &c. leſquelles agiſſant actuellement & d’une maniére violente ſur l’Eſprit des hommes, forcent pour l’ordinaire leur volonté, les détournent du chemin de la Vertu, forcent pour l’ordinaire leur volonté, les détournent du chemin de la Vertu, les contraignent d’abandonner le parti de la Piété & de la Religion, & de renoncer à ce qu’ils croyoient auparavant propre à les rendre heureux ; & cela, parce que tout homme ne tâche pas, ou n’eſt pas capable d’exciter en ſoi-même, par la contemplation d’un Bien éloigné & à venir, des déſirs de ce Bien qui ſoient aſſez puiſſans pour contrebalancer l’inquiétude que lui cauſent ces tourmens corporels, & pour conſerver ſa Volonté conſtamment fixée au choix des actions qui conduiſent au Bonheur qu’il attend après cette vie. C’eſt dequoi le Monde nous fournit une infinité d’exemples ; l’on peut trouver dans tous les Païs & dans tous les temps aſſez de preuves de cette commune obſervation « Que la neceſſité entraîne les preuves de cette commune obſervation » hommes à des actions honteuſes, Neceſſitas cogit ad turpia. C’eſt pourquoi nous avons grand ſujet de prier Dieu, ** Matib. VI. Qu’il ne nous induiſe point en tentation.

II.Les Deſirs cauſez par de faux Jugemens. Il y a d’autres inquiétudes qui procedent des deſirs que nous avons d’un Bien abſent, de ſorte que c’eſt de là qu’ils dépendent auſſi bien que du goût que nous en concevons : deux conſiderations qui nous font tomber en divers égaremens ; & toûjours par notre propre faute.

§. 58.Le Jugement préſent que nous faiſons du Bien ou du Mal eſt toûjours droit. J’examinerai, en prémier lieu, les faux jugemens que les Hommes font du Bien & du Mal à venir, par où leurs deſirs ſont ſeduits : car pour ce qui eſt de la félicité & de la miſére préſente, lorſque la reflexion ne va pas plus loin, & que toutes conſéquences ſont entierement miſes à quartier, l’Homme ne choiſit jamais le mal. Il connoit ce qui lui plaît le plus ; & il s’y porte actuellement. Or les choſes conſiderées entant qu’on en jouït actuellement, ſont ce qu’elles ſemblent être : dans ce cas, le bien apparent, & réel n’eſt qu’une ſeule & même choſe. Car la Douleur ou le Plaiſir étant juſtement auſſi considérables qu’on les ſent, & pas d’avantage, le Bien ou le Mal préſent eſt réellement auſſi grand qu’il paroît. Et par conſéquent, ſi chacune de nos Actions étoit renfermée en elle-même, ſans traîner aucune conſéquence après elle, nous ne pourrions jamais nous méprendre dans le choix que nous ferions du Bien : mais infailliblement, nous prendrions toûjours le meilleur parti. Que dans le même temps la peine qui ſuit un honnête travail ſe préſentât à nous d’un côté, & de l’autre la néceſſité de mourrir de faim & de froid, perſonne ne balanceroit à choiſir. Si l’on offroit tout à la fois à un homme le moyen de contenter quelque paſſion préſente, & la jouïſſance actuelle des Délices du Paradis, il n’auroit garde d’héſiter le moins du monde, ou de ſe méprendre dans la détermination de ſon choix.

§. 59. Mais parce que nos Actions volontaires ne produiſent pas juſtement dans le temps de leur éxecution tout le Bonheur & toute la Miſére qui en dépend, mais qu’elles ſont des cauſes antécedentes du Bien & du