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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/285

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De nos Idées Complexes

& ne toucheroit aucun autre Corps. C’eſt pour cela que s’il n’y avoit point d’autre cauſe de la cohéſion des Corps, il ſeroit fort aiſé d’en ſeparer toutes les parties, en les faiſant gliſſer de côté. Car ſi la preſſion de l’Ether eſt la cauſe abſoluë de la cohéſion, il ne peut y avoir de cohéſion, là où cette cauſe n’opére point. Et puiſque la preſſion de l’Ether ne ſauroit agir contre une telle ſeparation de côté, ainſi que je viens de le faire voir, il s’enſuit de là qu’à prendre tel plain qu’on voudroit, qui coupât quelque maſſe de Matiere, il n’y auroit pas plus de cohéſion qu’entre deux ſurfaces polies, qu’on pourra toûjours faire gliſſer aiſément l’une de deſſus l’autre, quelque grande qu’on imagine la preſſion du Fluide qui les environne. De ſorte que, quelque claire que ſoit l’idée que nous croyons avoir de l’étenduë du Corps, qui n’eſt autre choſe qu’une cohéſion de parties ſolides, peut-être que qui conſiderera bien la choſe en lui-même, aura ſujet de conclurre qu’il lui eſt auſſi facile d’avoir une idée claire de la maniére dont l’Ame penſe, que de celle dont le Corps eſt étendu. Car comme le Corps n’eſt point autrement étendu que par l’union de ſes parties, ce qui me paroit auſſi incomprehenſible que la penſée & la maniére dont elle ſe forme.

§. 25. Je ſai que la plûpart des gens s’étonnent de voir qu’on trouve de la difficulté dans ce qu’ils croyent obſerver chaque jour. Ne voyons-nous pas, diront-ils d’abord, les parties des corps fortement jointes enſemble ? Y a-t-il rien de plus commun ? Quel doute peut-on avoir là-deſſus ? Et moi, je dis de même à l’égard de la Penſée & de la Puiſſance de mouvoir, ne ſentons-nous pas ces deux choſes en nous-mêmes par de continuelles expériences, & ainſi, le moyen d’en douter ? De part & d’autre le fait eſt évident, j’en tombe d’accord. Mais quand nous venons à l’examiner d’un peu plus près, & à conſiderer comment ſe fait la choſe, je croi qu’alors nous ſommes hors de route à l’un & à l’autre égard. Car je comprens auſſi peu comment les parties du Corps ſont jointes enſemble, que de quelle maniére nous appercevons le Corps, ou le mettons en mouvement : ce ſont pour moi deux énigmes également impénétrables. Et je voudrois bien que quelqu’un m’expliquât d’une maniére intelligible, comment les parties de l’Or & du Cuivre, qui venant d’être fonduës tout à l’heure, étoient auſſi déſunies les unes des autres que les particules de l’Eau ou du ſable, ont été, quelques momens après, ſi fortement jointes & attachées l’une de l’autre, que toute la force des bras d’un homme ne ſauroit les ſeparer. Je croi que toute perſonne qui eſt accoûtumée à faire des reflexions, ſe verra ici dans l’impoſſibilité de trouver quoi que ce ſoit qui puiſſe le ſatisfaire.

§. 26. Les petits corpuſcules qui compoſent ce Fluide que nous appelons Eau, ſont d’une extraordinaire petiteſſe, que je n’ai pas encore ouï dire que perſonne ait prétendu appercevoir leur groſſeur, leur figure diſtincte, ou leur mouvement particulier ; par le moyen d’aucun microſcope, quoi qu’on m’ait aſſuré qu’il y a des Microſcopes, qui font voir les Objets, dix mille & même cent mille fois plus grands qu’ils ne nous paroiſſent naturellement. D’ailleurs, les particules de l’Eau ſont ſi fort détachées les