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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/293

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De la Relation. Liv. II.

pour ainſi dire, d’un coup d’œuil chacune de ces Idées en particulier par une ſeule idée ; & qu’ainſi ſous cette notion il conſidére auſſi parfaitement ces différens amas de choſes comme une ſeule choſe, que lorſqu’il ſe repréſente un Vaiſſeau ou un atome. En effet, il n’eſt pas plus mal-aiſé de concevoir comment une Armée de dix mille hommes peut faire une ſeule idée ; car il eſt auſſi facile à l’Eſprit de réunir l’idée d’un grand nombre d’hommes en une ſeule idée, & de la conſidérer comme une idée effectivement unique, que de former une idée ſinguliére de toutes les idées diſtinctes qui entrent dans la compoſition d’un homme, & les regarder toutes enſemble comme une ſeule idée.

§ 3.Toutes les choſes artificielles ſont des idées collectives. Il faut mettre au nombre de ces ſortes d’Idées Collectives, la plus grande partie des Choſes artificielles, ou du moins celles de cette nature qui ſont compoſées de Subſtances diſtinctes ; & dans le fond, à bien conſiderer toutes ces Idées collectives, comme une Armée, une Conſtellation, l’Univers, nous trouverons qu’entant qu’elles forment autant d’Idées ſinguliéres, ce ne ſont que des Tableaux artificiels que l’Eſprit trace, pour ainſi dire, en aſſemblant ſous un ſeul point de vuë des choſes fort éloignées, & indépendantes les unes des autres, afin de les mieux contempler, & d’en diſcourir plus commodément lorſqu’elles ſont ainſi réunies ſous une ſeule conception, & déſignées par un ſeul nom. Car il n’y a rien de ſi éloigné ni de ſi contraire que l’Eſprit ne puiſſe raſſembler en une ſeule idée par le moyen de cette Faculté, comme il paroît viſiblement par ce que ſignifie le mot d’Univers qui n’emporte qu’une ſeule idée, quelque compoſé qu’il puiſſe être.



CHAPITRE XXV.

De la Relation.


§. 1.Ce que c’eſt que Relation.
OUtre les Idées ſimples ou complexes que l’Eſprit a des choſes conſiderées en elles-mêmes, il y en a d’autres qu’il forme de la comparaiſon qu’il fait de ces choſes entre elles. Lors que l’Entendement conſidere une choſe, il n’eſt pas borné préciſément à cet Objet ; il peut tranſporter, pour ainſi dire, chaque idée hors d’elle-même, ou du moins regarder au delà, pour voir quel rapport elle a avec quelque autre idée. Lorſque l’Eſprit enviſage ainſi une choſe, en ſorte qu’il la conduit & la place, pour ainſi dire, auprès d’une autre, en jettant la vuë de l’une ſur l’autre, c’eſt une Relation ou rapport, ſelon ce qu’emportent ces deux mots, quant aux dénominations qu’on donne aux choſes poſitives, pour déſigner ce rapport & être comme autant de marques qui ſervent à porter la penſée au delà du ſujet même qui reçoit la dénomination vers quelque choſe qui en ſoit diſtinct, c’eſt ce qu’on appelle termes Relatifs ; & pour les choſes qu’on approche ainſi l’une de l’autre, on les nomme ** Relata. ſujets de la Relation. Ainſi,