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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/301

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Ce que c’eſt qu’Identité

quantité de mots, (& peut-être la plus grande partie) ne renferment autre choſe que de ſimples Relations, quoi qu’à la prémiére vûë ils ne paroiſſent point avoir une ſignification relative. Ainſi quand on dit qu’un Vaiſſeau a les proviſions néceſſaires, les mots néceſſaire & proviſion ſont tous deux relatifs, car l’un ſe rapporte à l’accompliſſement du Voyage qu’on a deſſein de faire, & l’autre à l’uſage à venir. Du reſte, il eſt ſi aiſé de voir comment toutes ces Relations ſe terminent à des Idées qui viennent par Senſation ou par Reflexion qu’il n’eſt pas néceſſaire de l’expliquer.



CHAPITRE XXVII.

Ce que c’eſt qu’Identité, & Diverſité.


§. 1.En quoi conſiſte l’Identité.
Une autre ſource de comparaiſons dont nous faiſons un aſſez fréquent uſage, c’eſt l’exiſtence même des choſes, lorsque venant à conſiderer une choſe comme exiſtant dans un tel temps & dans un tel lieu déterminé, nous la comparons avec elle-même exiſtant dans un autre temps, par où nous formons les Idées d’Identité & de Diverſité. Quand nous voyons une choſe dans une telle place durant un certain moment, nous ſommes aſſûrez (quoi que ce puiſſe être) que c’eſt la choſe même que nous voyons, & non une autre qui dans le même temps exiſte dans un autre lieu, quelque ſemblables & difficiles à diſtinguer qu’elles ſoient, à tout autre égard. Et c’eſt en cela que conſiſte l’Identité, je veux dire en ce que les Idées auxquelles on l’attribuë, ne ſont en rien différentes de ce qu’elles étoient dans le moment que nous conſiderons leur prémiére exiſtence, & à quoi nous comparons leur exiſtence préſente. Car ne trouvant jamais & ne pouvant même concevoir qu’il ſoit poſſible, que deux choſes de la même eſpèce exiſtent en même temps dans le même lieu, nous avons droit de conclurre, que tout ce qui exiſte quelque part dans un certain temps, en exclut toute autre choſe de la même eſpèce, & exiſte là tout ſeul. Lors donc que nous demandons, ſi une choſe eſt la même, ou non, cela ſe rapporte toûjours à une choſe qui dans un tel temps exiſtoit dans une telle place, & qui dans cet inſtant étoit certainement la même avec elle-même, & non avec une autre. D’où il s’enſuit, qu’une choſe ne peut avoir deux commencemens d’exiſtence, ni deux choſes un ſeul commencement, étant impoſſible que deux choſes de la même eſpèce ſoient ou exiſtent, dans le même inſtant, dans un ſeul & même lieu, eſt la même choſe, & ce qui à ces deux égards à un commencement différent de celle-là, n’eſt pas la même choſe qu’elle, mais en eſt actuellement different. L’embarras qu’on a trouvé dans cette eſpece de Relation, n’eſt venu que du peu de ſoin qu’on a pris de ſe faire des notions préciſes des choſes auxquelles on l’attribuë.