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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/318

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& de Diverſité. Liv. II.

exiſte comme il a déja fait, des mois & des années, ſans qu’on puiſſe mettre des bornes préciſes à ſa durée ; & qu’il peut être le même ſoi, à la faveur de la même con-ſcience, continuée pour l’avenir. Et ainſi par le moyen de cette con-ſcience il ſe trouve être le même ſoi qui fit, il y a quelques années, telle ou telle action, par laquelle il eſt préſentement heureux ou malheureux. Dans cette expoſition de ce qui conſtituë le ſoi, on n’a point d’égard à la même Subſtance numerique comme conſtituant le même ſoi, mais à la même con-ſcience continuée, & quoi que différentes Subſtances puiſſent avoir été unies à cette Con-ſcience, & en avoir été ſeparées dans la ſuite, elles ont pourtant fait partie de ce même ſoi, tandis qu’elles ont perſiſté dans une union vitale avec le Sujet où cette con-ſcience reſidoit alors. Ainſi chaque partie de notre Corps qui vitalement unie à ce qui agit en nous avec con-ſcience fait une partie de nous-mêmes ; mais dès qu’elle vient à être ſeparée de cette union vitale, par laquelle cette con-ſcience lui eſt communiquée, ce qui étoit partie de nous-mêmes il n’y a qu’un moment, ne l’eſt non plus à préſent, qu’une portion de matiére unie vitalement au Corps d’un autre homme eſt une partie de moi-même ; & il n’eſt pas impoſſible qu’elle puiſſe devenir en peu de temps une partie réelle d’une autre perſonne. Voilà comment une même Subſtance numerique vient à faire partie de deux différentes Perſonnes ; & comme une même perſonne eſt conſervée parmi le changement de différentes Subſtances. Si l’on pouvoit ſuppoſer un Eſprit entiérement privé de tout ſouvenir & de toute con-ſcience de ſes actions paſſées, comme nous éprouvons que les nôtres le ſont à l’égard d’une grande partie, & quelquefois de toutes, l’union ou la ſeparation d’une telle Subſtance ſpirituelle ne ſeroit non plus de changement à l’Identité perſonnelle, que celle que fait quelque particule de Matiére que ce puiſſe être. Toute Subſtance vitalement unie à ce préſent Etre penſant, eſt une partie de ce même ſoi qui exiſte préſentement ; & toute Subſtance qui lui eſt unie par la con-ſcience des actions paſſées, fait auſſi partie de ce même ſoi, qui eſt le même tant à l’égard de ce temps paſſé qu’à l’égard du temps préſent.

§. 26.Le mot de Perſonne eſt un terme de Barreau. Je regarde le mot de Perſonne comme un mot qui a été employé pour déſigner préciſement ce qu’on entend par ſoi-même. Par-tout où un homme trouve ce qu’il appelle ſoi-même, je croi qu’un autre peut dire que là reſide la même Perſonne. Le mot de Perſonne eſt un terme de Barreau qui approprie des actions, & le mérite ou le démerite de ces actions ; & qui par conſéquent n’appartient qu’à des Agents Intelligens, capables de Loi, & de bonheur ou de miſére. La perſonalité ne s’étend au delà de l’exiſtence préſente jusqu’à ce qui eſt paſſé, que par le moyen de la con-ſcience, qui fait que la perſonne prend intérêt à des actions paſſées, en devient reſponſable, les reconnoit pour ſiennes, & ſe les impute ſur le même fondement & pour la même raiſon qu’elle s’attribuë les actions préſentes. Et tout cela eſt fondé ſur l’intérêt qu’on prend au bonheur qui eſt inévitablement attaché à la con-ſcience : car ce qui a un ſentiment de plaiſir & de douleur, deſire que ce ſoi en qui reſide ce ſentiment, ſoit heureux. Ainſi toute action paſſée qu’il ne ſauroit adapter ou approprier par la con-ſcience à ce préſent ſoi, ne peut non plus l’intereſſer que s’il ne l’avoit jamais faite, de ſorte que s’il