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Des Relations Morales. Liv. II.

un rapport de deux choſes, l’une à l’autre : cependant parce que ſouvent l’une des deux n’a point de nom relatif qui emporte cette mutuelle correſpondance, les hommes n’en prennent pour l’ordinaire aucune connoiſſance, & ne penſent point à la Relation qu’elles renferment effectivement. Par exemple, on reconnoit ſans peine que les termes de Patron & de Client ſont relatifs : mais dès qu’on entend ceux de Dictateur ou de Chancelier, on ne ſe les figure pas ſi promptement ſous cette idée ; parce qu’il n’y a point de nom particulier pour déſigner ceux qui ſont ſous le commandement d’un Dictateur ou d’un Chancelier, & qui exprime un rapport à ces ſortes de Magiſtrats ; quoi qu’il ſoit indubitable que l’un & l’autre ont certain pouvoir ſur quelques perſonnes par où ils ont relation avec ces Perſonnes, tout auſſi bien qu’un Patron avec ſon client, ou un Général avec ſon Armée.

§. 4.Relations Morales. Il y a, en quatriéme lieu, une autre ſorte de Relation, qui eſt la convenance ou la diſconvenance qui ſe trouve entre les Actions volontaires des hommes, & une Règle à quoi on les rapporte & par où l’on en juge, ce qu’on peut appeler, à mon avis, Relation morale : parce que c’eſt de là que nos actions morales tirent leur dénomination : ſujet qui ſans doute mérite bien d’être examiné avec ſoin, puiſqu’il n’y a aucune partie de nos connoiſſances ſur quoi nous devions être plus ſoigneux de former des idées déterminées, & d’éviter la confuſion & l’obſcurité, autant qu’il eſt en notre pouvoir. Lorſque les Actions humaines avec leurs différens objets, leurs diverſes fins, maniéres & circonſtances viennent à former des Idées diſtinctes & complexes, ce ſont, comme j’ai déja montré, autant de Modes Mixtes dont la plus grande partie ont leurs noms particuliers. Ainſi, ſuppoſant que la Gratitude eſt une diſpoſition à reconnoître & à rendre les honnêtetez qu’on a reçuës, que la Polygamie eſt d’avoir plus d’une femme à la fois ; lors que nous formons ainſi ces notions dans notre Eſprit, nous y avons autant d’Idées déterminées de Modes Mixtes. Mais ce n’eſt pas à quoi ſe terminent toutes nos actions : il ne ſuffit pas d’en avoir des Idées déterminées, & de ſavoir quels noms appartiennent à telles & à telles combinaiſons d’Idées qui compoſent une Idée complexe, déſignée par un tel nom ; nous avons dans cette affaire un intérêt bien plus important & qui s’étend beaucoup plus loin. C’eſt de ſavoir ſi ces ſortes d’Actions ſont moralement bonnes ou mauvaiſes.

§. 5.Ce que c’eſt que Bien moral & Mal moral
* Chap. XX. §. 2. & chap. XXI. §. 42.
Le Bien & le Mal n’eſt, comme * nous avons montré ailleurs, que le Plaiſir ou la Douleur, ou bien ce qui eſt l’occaſion ou la cauſe du Plaiſir ou de la Douleur que nous ſentons. Par conſéquent le Bien & le Mal conſideré moralement, n’eſt autre choſe que la conformité ou l’oppoſition qui ſe trouve entre nos actions volontaires & une certaine Loi : conformité & oppoſition qui nous attire du Bien ou du Mal par la Volonté & la Puiſſance du Légiſlateur ; & ce Bien & ce Mal qui n’eſt autre choſe que le plaiſir ou la douleur qui par la détermination du Légiſlateur accompagnent l’obſervation ou la violation de la Loi, c’eſt ce que nous appelons récompenſe & punition.

§. 6.Règles Morales. Il y a, ce me ſemble, trois ſortes de telles Règles, ou Loix Mo-