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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/347

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Des Idées completes & incompletes.Liv. II.

verſes & en ſi grand nombre, que perſonne ne les renferme toutes dans l’idée complexe qu’il s’en forme en lui-même.

Et prémiérement, que nos Idées abſtraites des Subſtances ne contiennent pas toutes les idées ſimples qui ſont unies dans les choſes mêmes, c’eſt ce qui paroit viſiblement en ce que les hommes ſont entrer rarement dans leur idée complexe d’aucune Subſtance, toutes les Idées ſimples qu’ils ſavent exiſter actuellement dans cette Subſtance : parce que tâchant de rendre la ſignification des noms ſpécifiques des Subſtances auſſi claire & auſſi peu embaraſſée qu’ils peuvent, ils compoſent pour l’ordinaire les idées ſpecifiques qu’ils ont de diverſes ſortes de Subſtances, d’un petit nombre de ces Idées ſimples qu’on y peut remarquer. Mais comme celles-ci n’ont originairement aucun droit de paſſer devant, ni de compoſer l’idée ſpécifique, plûtôt que les autres qu’on en exclut, il eſt évident qu’à ces deux égards nos Idées des Subſtances ſont défectueuſes & incompletes.

D’ailleurs, ſi vous exceptez dans certaines Eſpèces de Subſtances la figure & la groſſeur, toutes les Idées ſimples dont nous formons nos Idées complexes des Subſtances, ſont de pures Puiſſances : & comme ces Puiſſances ſont Relations à d’autres Subſtances, nous ne pouvons jamais être aſſûrez de connoître toutes les Puiſſances qui ſont dans un Corps juſqu’à ce que nous ayions éprouvé quels changemens il eſt capable de produire dans d’autres Subſtances, ou de recevoir de leur part dans les différentes applications qui en peuvent être faites. C’eſt ce qu’il n’eſt pas poſſible d’eſſayer ſur aucun Corps en particulier, moin encore ſur tous ; & par conſéquent il nous eſt impoſſible d’avoir des idées completes d’aucune Subſtance, qui comprennent une collection parfaite de toutes leurs Propriétez.

§. 9. Celui qui le prémier trouva une pièce de cette eſpèce de Subſtance qui nous déſignons par le mot d’Or, ne put pas ſuppoſer raiſonnablement que la groſſeur & la figure qu’il remarqua dans ce morceau, dépendoient de ſon eſſence réelle ou conſtitution intérieure. C’eſt pourquoi ces choſes n’entrerent point dans l’idée qu’il eut de cette eſpèce de Corps, mais peut-être, ſa couleur particuliére & ſon poids furent les prémieres qu’il en déduiſit pour former l’idée complexe de cette Eſpèce : deux choſes qui ne ſont que de ſimples Puiſſances, l’une de frapper nos yeux d’une telle maniére & de produire en nous l’idée que nous appellons jaune, & l’autre de faire tomber en bas un autre Corps d’une égale groſſeur, ſi l’on les met dans les deux baſſins d’une balance en équilibre. Un autre ajoûta peut-être à ces Idées, celles de fuſibilité & de fixité, deux autres Puiſſances paſſives qui ſe rapportent à l’opération du Feu ſur l’Or. Un autre y remarqua la ductilité & la capacité d’être diſſous dans de l’Eau Regale : deux autres Puiſſances qui ſe rapportent à ce que d’autres Corps operent en changeant ſa figure extérieure, ou en le diviſant en partie inſenſibles. Ces Idées, ou une partie jointes enſemble forment ordinairement dans l’Eſprit des hommes l’idée complexe de cette eſpèce de Corps que nous appellons Or.

§. 10. Mais quiconque a fait quelques reflexions ſur les propriétez des Corps en général, ou ſur cette eſpèce en particulier, ne peut douter que