Aller au contenu

Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
XXXIV
PREFACE

un Boyle, ou un Sydenham. Et dans un Siécle qui produit d’auſſi grands Maîtres que l’illustre Huygens & l’incomparable M. Newton avec quelques autres de la même volée, c’eſt un aſſez grand honneur que d’être employé en qualité de ſimple ouvrier à nettoyer un peu le terrain, & à écarter une partie des vielles ruïnes qui ſe rencontrent ſur le chemin de la Connoiſſance, dont les progrès auroient ſans doute été plus ſensibles, ſi les recherches de bien des gens plein d’Eſprit & laborieux n’euſſent été embarraſſées par un ſavant, mais frivole uſage de termes barbares, affectez, & inintelligibles, qu’on a introduit dans les Sciences & réduit en Art, de ſorte que la Philoſophie, qui n’eſt autre choſe que la véritable Connoiſſance des Choſes, a été jugée indigne ou incapable d’être admiſe dans la Converſation des perſonnes polies & bien élevées. Il y a ſi longtemps que l’abus du Langage, & certaines façons de parler vagues & de nul ſens, paſſent pour des Myſtéres de Science ; & que de grands mots ou des termes mal appliquez qui ſignifient fort peu de choſe, ou qui ne ſignifie abſolument rien, ſe ſont acquis, par preſcription, le droit de paſſer fauſſement pour le Savoir le plus profond & le plus abſtrus, qu’il ne ſera pas facile de perſuader à ceux qui parlent ce Langage, ou qui l’entendent parler, que ce n’eſt dans le fond autre choſe qu’un moyen de cacher son ignorance, & d’arrêter le progrès de la vraye Connoiſſance. Ainſi, je m’imagine que ce ſera rendre ſervice à l’Entendement humain, de faire quelque brêche à ce Sanctuaire d’Ignorance & de Vanité. Quoi qu’il y ait fort peu de gens qui s’aviſent de ſoupçonner que dans l’uſage des mots ils trompent ou ſoient trompez, ou que le Langage de la Secte qu’ils ont embraſſée, ait aucun défaut qui mérite d’être examiné ou corrigé, j’eſpére pourtant qu’on m’excuſera de m’être ſi fort étendu ſur ce ſujet dans le Troiſiéme Livre de cet Ouvrage, & d’avoir tâché de faire voir ſi évidemment cet abus des Mots, que la longueur inveterée du mal, ni l’empire de la Coûtume ne puſſent plus ſervir d’excuſe à ceux qui ne voudront pas ſe mettre en peine du ſens qu’ils attachent aux mots dont ils ſe ſervent, ni permettre que d’autres en recherchent la ſignification.

Ayant fait imprimer un petit Abregé de cet Eſſai en 1688. deux ans avant la publication de tout l’Ouvrage, j’ouïs dire qu’il fut condamné par quelques perſonnes avant qu’elles ſe fuſſent donné la peine de le lire, par la raiſon qu’on y nioit les Idées innées, concluant avec un peu trop de précipitation que ſi l’on ne ſuppoſait pas des Idées innées, il reſteroit à peine quelque notion des Eſprits ou quelque preuve de leur exiſtence. Si quelqu’un conçoit un pareil préjugé à l’entrée de ce Livre, je le prie de ne laiſſer pas de le lire d’un bout à l’autre ; après quoi j’eſpére qu’il ſera convaincu qu’en renverſant de faux Principes on rend ſervice à la Vérité, bien loin de lui faire aucun tort, la Vérité n’étant jamais ſi fort bleſſée, ou expoſée à de ſi grands dangers, que lorſque la Fauſſeté eſt mêlée avec elle, ou qu’elle eſt employée à lui ſervir de fondement.

Voici ce que j’ajoûtai dans la ſeconde Edition.

Le Libraire ne me le pardonneroit pas, ſi je ne diſois rien de cette Nouvelle Edition, qu’il a promis de purger de tant de fautes qui défiguroient la Prémiére. Il ſouhaite auſſi qu’on ſache qu’il y a dans cette ſeconde Edition un nouveau Cha-