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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/477

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Des Degrez de notre Connoiſſance. Liv. IV.

paſſagère qu’on peut la découvrir ; mais en s’appliquant fortement & ſans relâche. Il faut s’engager dans une certaine progreſſion d’Idées, faite peu à peu & par dégrez, avant que l’Eſprit puiſſe arriver par cette voye à la Certitude, & appercevoir la convenance ou l’oppoſition qui eſt entre deux idées, ce qu’on ne peut reconnoître que par des preuves enchaînées l’une à l’autre, & en faiſant l’uſage de ſa Raiſon.

§. 5Elle eſt précedée de quelque doute. Une autre différence qu’il y a entre la Connoiſſance Intuitive & la Démonſtrative, c’eſt qu’encore qu’il ne reſte aucun doute dans cette derniére lorsque par l’intervention des idées moyennes on apperçoit une fois la convenance ou la disconvenance des idées qu’on conſidére, il y en avoit avant la Démonſtration : ce qui dans la Connoiſſance intuitive ne peut arriver à un Eſprit qui poſſede la Faculté qu’on nomme Perception dans un dégré aſſez parfait pour avoir des idées diſtinctes. Cela, dis-je, eſt auſſi impoſſible, qu’il eſt impoſſible à l’Oeuil qui peut voir diſtinctement le blanc & le noir, de douter ſi cette encre & ce papier ſont de la même couleur. Si la Lumiére refléchie de deſſus ce Papier, vient à le frapper, il appercevra tout auſſi-tôt, ſans héſiter le moins du monde, que les mots tracez ſur le Papier, ſont différens de la Couleur du Papier : de même ſi l’Eſprit a la faculté d’appercevoir diſtinctement les choſes, il appercevra la convenance ou la disconvenance des Idées qui produiſent la Connoiſſance intuitive. Mais ſi les Yeux ont perdu la faculté de voir, ou l’Eſprit celle d’appercevoir, c’eſt en vain que nous chercherions dans les prémiers une vûë pénétrante, & dans le dernier une ([1]) Perception claire & diſtincte.

§. 6.Elle n’eſt pas ſi claire que la Connoiſſance intuitive. Il eſt vrai que la perception qui eſt produite par voye de Démonſtration, eſt auſſi fort claire : mais cette évidence eſt ſouvent bien différente de cette Lumiére éclatante, de cette pleine aſſurance qui accompagne toûjours ce que j’appelle Connoiſſance intuitive. Cette prémiére perception qui eſt produite par voye de Démonſtration peut être comparée à l’image d’un Viſage refléchi par pluſieurs Miroirs de l’un à l’autre, qui auſſi long-temps qu’elle conſerve de la reſſemblance avec l’Objet, produit de la Connoiſſance, mais toûjours en perdant, à chaque reflexion ſucceſſive, quelque partie de cette parfaite clarté & diſtinction qui eſt dans la prémiére image, jusqu’à ce qu’enfin après avoir été éloignée pluſieurs fois, elle devient fort confuſe, & n’eſt plus d’abord ſi reconnoiſſable, & ſur-tout par des yeux foibles. Il en eſt de même à l’égard de la Connoiſſance qui eſt produite par une longue ſuite de preuves.

§. 7.Chaque dégré de la déduction doit être connu intuitivement, & par lui-même. Au reſte, à chaque pas que la Raiſon fait dans une Démonſtration, il faut qu’elle apperçoive par une connoiſſance de ſimple vûë la convenance ou la disconvenance de chaque idée qui lie enſemble les idées entre lesquelles elle intervient pour montrer la convenance ou la disconvenance des deux idées extrêmes. Car ſans cela, on auroit encore beſoin de preuves pour faire voir la convenance ou la disconvenance que chaque idée qui lie enſemble les idées entre lesquelles elle intervient pour montrer la convenance ou la disconvenance des deux idées extrêmes. Car ſans cela, on auroit encore beſoin de preuves pour faire voir la convenance ou la disconvenance que chaque idée moyenne a avec celles entre lesquelles elle eſt placée, puisque ſans

  1. Ce mot ſe prend ici pour une Faculté, & c’eſt dans ce ſens qu’on l’a pris au Liv. II. Ch. IXme. intitulé, De la Perception.