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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/494

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De l’Etenduë de la Connoiſſance humaine. Liv. IV.

pris pour cela, a augmenté le fonds des Connoiſſances Phyſiques. Si d’autres perſonnes & ſur-tout les Chimiſtes, qui prétendent perfectionner cette partie de nos connoiſſances, avoient été auſſi exacts dans leurs obſervations & auſſi ſincéres dans leurs rapports que devroient l’être des gens qui ſe diſent Philoſophes, nous connoîtrions beaucoup mieux les Corps qui nous environnent, & nous pénétrerions beaucoup plus avant dans leurs Puiſſances & dans leurs operations.

§. 17.La connoiſſance que nous avons des Eſprits eſt encore plus bornée. Si nous ſommes ſi peu inſtruits des Puiſſances & des Operations des Corps, je croi qu’il eſt aiſé de conclurre que nous ſommes dans de plus grandes ténèbres à l’égard des Eſprits, dont nous n’avons naturellement point d’autres idées que celles que nous tirons de l’idée de notre propre Eſprit en reflêchiſſant ſur les operations de notre Ame, autant que nos propres obſervations peuvent nous les faire connoître. J’ai propoſé ailleurs en paſſant une petite ouverture à mes Lecteurs pour leur donner lieu de penſer combien les Eſprits qui habitent nos Corps, tiennent un rang peu conſiderable parmi ces différentes, & peut-être innombrables Eſpèces d’Etres plus excellens, & combien ils ſont éloignez d’avoir les qualitez & les perfections des Cherubins & des Seraphins, & d’une infinité de ſortes d’Eſprits qui ſont au deſſus de nous.

§. 18.III. Il n’eſt pas aiſé de marquer les bornes de notre Connoiſſance des autres Relations. La Morale eſt capable de Démonſtration. Pour ce qui eſt de la troiſiéme eſpèce de Connoiſſance, qui eſt la convenance ou la disconvenance de quelqu’une de nos idées, conſiderées dans quelque autre rapport que ce ſoit ; comme c’eſt là le plus vaſte champ de nos Connoiſſances, il eſt bien difficile de déterminer jusqu’où il peut s’étendre. Parce que les progrès qu’on peut faire dans cette partie de notre Connoiſſance, dépendent de notre ſagacité à trouver des idées moyennes qui puiſſent faire voir les rapports des idées dont on ne conſidére pas la coëxiſtence, il eſt mal-aiſé de dire quand c’eſt que nous ſommes au bout de ces ſortes de découvertes, & que la Raiſon a tous les ſecours dont elle peut faire uſage pour trouver des preuves, & pour examiner la convenance ou la disconvenance des idées éloignées. Ceux qui ignorent l’Algebre ne ſauroient ſe figurer les choſes étonnantes qu’on peut faire en ce genre par le moyen de cette Science ; & je ne vois pas qu’il ſoit facile de déterminer quels nouveaux moyens de perfectionner les autres parties de nos Connoiſſances peuvent être encore inventez par un Eſprit pénétrant. Je croi du moins que les Idées qui regardent la Quantité, ne ſont pas les ſeules capables de démonſtration ; mais qu’il y en a d’autres qui ſont peut-être la plus importante partie de nos Contemplations, d’où l’on pourroit déduire les connoiſſances certaines, ſi les Vices, les Paſſions, & les Intérêts dominans, ne s’oppoſoient directement à l’exécution d’une telle entrepriſe.

L’idée d’un Etre ſuprême, infini en puiſſance, en bonté & en ſageſſe, qui nous a faits, & de qui nous dépendons ; & l’idée de Nous-mêmes comme de Créatures Intelligentes & Raiſonnables, ces deux Idées, dis-je, étant une fois clairement dans notre Eſprit, en ſorte que nous les conſidéraſſions comme il faut pour en déduire les conſéquences qui en découlent naturellement, nous fourniroient, à mon avis, de tel fondemens de nos De-