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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/510

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De la Réalité de notre Connoiſſance. Liv. IV.

les Diſcours de Morale, parce qu’il n’eſt pas ſi facile de les rectifier que dans les Mathematiques, où la Figure une fois tracée & expoſée aux yeux fait que le mot eſt inutile, & n’a plus aucune force ; car qu’eſt-il beſoin de ſigne lorſque la choſe ſignifiée eſt préſente ? Mais dans les termes de morale on ne ſauroit faire cela ſi aiſément ni ſi promptement, à cauſe de tant de compoſitions compliquées qui conſtituent les idées complexes de ces Modes. Cependant qu’on vienne à nommer quelqu’une de ces idées d’une maniére contraire à la ſignification que les Mots ont ordinairement dans cette Langue, cela n’empêchera point que nous ne puiſſions avoir une connoiſſance certaine & démonſtrative de leurs diverſes convenances ou diſconvenances, ſi nous avons le ſoin de nous tenir conſtamment aux mêmes idées préciſes, comme dans les Mathématiques, & que nous ſuivions ces Idées dans les différentes relations qu’elles ont l’une à l’autre ſans que leurs noms nous faſſent jamais prendre le change. Si nous ſéparons une fois l’idée en queſtion d’avec le ſigne qui tient ſa place, notre Connoiſſance tend également à la découverte d’une vérité réelle & certaine, quels que ſoient les ſons dont nous nous ſervions.

§. 10.Des noms mal impoſez ne confondent point la certitude de notre Connoiſſance. Une autre choſe à quoi nous devons prendre garde, c’eſt que lorſque Dieu ou quelque autre Légiſlateur ont défini certains termes de Morale, ils ont établi par-là l’Eſſence de cette Eſpèce à laquelle ce nom appartient ; & il y a du danger, après cela, de l’appliquer ou de s’en ſervir dans un autre ſens. Mais en d’autres rencontres c’eſt une pure impropriété de Langage que d’employer ces termes de Morale d’une maniére contraire à l’uſage ordinaire du Païs. Cependant cela même ne trouble point la certitude de la Connoiſſance, qu’on peut toûjours acquerir, par une légitime conſidération & par une exacte comparaiſon de ces Idées, quelques noms bizarres qu’on leur donne.

§. 11.Les Idées des Subſtances ont leurs Archetypes hors de nous. En troiſième lieu, il y a une autre ſorte d’Idées complexes qui ſe rapportant à des Archetypes qui exiſtent hors de nous, peuvent en être différentes ; & ainſi notre Connoiſſance touchant ces Idées peut manquer d’être réelle. Telles ſont nos Idées des Subſtances, qui conſiſtant dans une Collection d’idées ſimples, qu’on ſuppoſe déduite des Ouvrages de la Nature, peuvent pourtant être différentes de ces Archetypes, dès-là qu’elles renferment plus d’Idées, ou d’autres Idée que celles qu’on peut trouver unies dans les Choſes mêmes. D’où il arrive qu’elles peuvent manquer, & qu’en effet elles manquent d’être exactement conforme aux Choſes mêmes.


§. 12.Autant que nos Idées conviennent avec ces Archetypes, autant notre Connoiſſance eſt réelle. Je dis donc que pour avoir des idées des Subſtances qui étant conformes aux Choſes puiſſent nous fournir une connoiſſance réelle, il ne ſuffit pas de joindre enſemble, ainſi que dans les Modes, des Idées qui ne ſoient pas incompatibles, quoi qu’elles n’ayent jamais exiſté auparavant de cette maniére, comme ſont, par exemple, les idées de ſacrilège ou de parjure, &c. qui étoient auſſi véritables & auſſi réelles avant qu’après l’exiſtence d’aucune telle Action. Il en eſt, dis-je, tout autrement à l’égard de nos Idées des Subſtances ; car celles-ci étant regardées comme des copies qui doivent repréſenter des Archetypes exiſtans hors de nous, elles doivent être