Aller au contenu

Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/517

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
474
De la Vérité en général. Liv. IV.

exemple, qui parlent beaucoup de Religion & de Conſcience, d’Egliſe & de Foi, de Puiſſance & de Droit, d’Obſtructions & d’humeurs, de melancolie & de bile, mais dont les penſées & les méditations ſe réduiroient peut-être à fort peu de choſe, ſi on les prioit de reflêchir uniquement ſur les Choſes mêmes, & de laiſſer à quartier tous ces mots avec lesquels il eſt ſi ordinaire qu’ils embrouillent les autres & qu’ils s’embarraſſent eux-mêmes.

§. 5.Elles ne ſont que des Idées jointes ou ſeparées ſans l’intervention des mots. Mais pour revenir à conſiderer en quoi conſiſte la Vérité, je dis qu’il faut diſtinguer deux ſortes de Propoſitions que nous ſommes capables de former.

Prémiérement, les Mentales, où les Idées ſont jointes ou ſeparées dans notre Entendement, ſans l’intervention des Mots, par l’Eſprit, qui appercevant leur convenance ou leur diſconvenance, en juge actuellement.

Il y a, en ſecond lieu, des Propoſitions Verbales qui ſont des Mots, ſignes de nos Idées, joints ou ſeparez en des ſentences affirmatives ou negatives. Et par cette maniére d’affirmer ou de nier, ces ſignes formez par des ſons, ſont, pour ainſi dire, joints enſemble ou ſeparez l’un de l’autre. De ſorte qu’une Propoſition conſiſte à joindre ou à ſeparer des ſignes ; & de la Vérité conſiſte à joindre ou à ſeparer ces ſignes ſelon que les choſes qu’ils ſignifient, conviennent ou diſconviennent.

§. 6.Quand c’eſt que les Propoſitions mentales & verbales contiennent quelque vérité réelle. Chacun peut être convaincu par ſa propre expérience, que l’Eſprit venant à appercevoir ou à ſuppoſer la convenance ou la diſconvenance de quelqu’une de ſes Idées, les réduits tacitement en lui-même à une Eſpèce de Propoſition affirmative ou negative, ce que j’ai tâché d’exprimer par les termes de joindre enſemble & de ſeparer. Mais cette action de l’Eſprit qui eſt ſi familiere à tout homme qui penſe & qui raiſonne, eſt plus facile à concevoir en reflechiſſant ſur ce qui ſe paſſe en nous, lorſque nous affirmons ou nions, qu’il n’eſt aiſé de l’expliquer par des paroles. Quand un homme a dans l’Eſprit l’idée de deux Lignes, ſavoir la laterale, & la diagonale d’un Quarré, dont la diagonale a un pouce de longueur, il peut avoir auſſi l’idée de la diviſion de cette Ligne en un certain nombre de parties égales, par exemple en cinq, en dix, en cent, en mille, ou en toute autre nombre ; & il peut avoir l’idée de cette Ligne longue d’un pouce comme pouvant, ou ne pouvant pas être diviſée en telles parties égales qu’un nombre d’elles ſoit égal à la ligne laterale. Or toutes les fois qu’il apperçoit, qu’il croit, ou qu’il ſuppoſe qu’une telle Eſpèce de diviſibilité convient ou ne convient pas avec l’idée qu’il a de cette Ligne, il joint ou ſepare, pour ainſi dire, ces deux idées, je veux dire celle de cette Ligne, & celle de cette eſpèce de diviſibilité, & par-là il forme une Propoſition mentale qui eſt vraye ou fauſſe, ſelon telle eſpèce de diviſibilité, ou qu’une diviſibilité en de telles parties aliquotes convient réellement ou non avec cette Ligne. Et quand les Idées ſont ainſi jointes ou ſeparées dans l’Eſprit, ſelon que ces idées ou les choſes qu’elles ſignifient, conviennent ou diſconviennent, c’eſt là, ſi j’oſe ainſi parler, une Vérité mentale. Mais la Vérité verbale eſt quelque choſe de plus. C’eſt une propoſition où des Mots ſont affirmez ou niez l’un de l’autre, ſelon que les idées qu’ils