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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/524

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de leur Vérité, & de leur Certitude. Liv. IV.

ſpécifique, ſignifié par le mot Or, il eſt viſible que cette affirmation, Tout Or eſt malléable, n’eſt pas une Propoſition certaine ; car que l’idée complexe de l’Or ſoit compoſée de telles autres Qualitez qu’il vous plairra ſuppoſer dans l’Or, la Malléabilité ne paroîtra point dépendre de cette idée complexe, ni découler d’aucune idée ſimple qui y ſoit renfermée. La connexion que la Malléabilité a avec ces autres Qualitez, ſi elle en a aucune, venant ſeulement de l’intervention de la conſtitution réelle de ſes parties inſenſibles, laquelle conſtitution nous étant inconnuë, il eſt impoſſible que nous appercevions cette connexion, à moins que nous ne puiſſions découvrir ce qui joint toutes ces Qualitez enſemble.

§. 10.Juſqu’où cette coëxiſtence peut être connuë, juſque-là les Propoſitions univerſelles peuvent être certaines. Mais cela ne s’étend pas fort loin. A la vérité, plus le nombre de ces Qualitez coëxiſtantes que nous réuniſſons ſous un ſeul nom dans une Idée complexe, eſt grand, plus nous rendons la ſignification de ce mot préciſe & déterminée. Mais pourtant nous ne pouvons jamais la rendre par ce moyen capable d’une certitude univerſelle par rapport à d’autres Qualitez qui ne ſont pas contenuës dans notre idée complexe ; puiſque nous n’appercevons point la liaiſon ou la dépendance qu’elles ont l’une avec l’autre, ni connoiſſant ni la conſtitution réelle ſur laquelle elles ſont fondées, ni comment elles en tirent leur origine. Car la principale partie de notre Connoiſſance ſur les Subſtances ne conſiſte pas ſimplement, comme en d’autres choſes, dans le rapport de deux Idées qui peuvent exiſter ſeparément, mais dans la liaiſon & dans la coëxiſtence néceſſaire de pluſieurs idées diſtinctes dans un même ſujet, ou dans leur incompatibilité à coëxiſter de cette maniére. Si nous pouvions commencer par l’autre bout, & découvrir en quoi conſiſte une telle Couleur, ce qui rend un Corps plus leger ou plus peſant, quelle contexture de parties le rend malléable, fuſible, fixe & propre à être diſſous dans cette eſpèce de liqueur & non dans une autre, ſi, dis-je, nous avions une telle idée des Corps, & que nous puſſions appercevoir en quoi conſiſtent originairement toutes leurs Qualitez ſenſibles, & comment elles ſont produites, nous pourrions nous en former de telles idées abſtraites qui nous ouvriroient le chemin à une connoiſſance plus générale, & nous mettroient en état de former des Propoſitions univerſelles, qui emporteroient avec elles une certitude & une vérité générale. Mais tandis que nos idées complexes des Eſpèces des Subſtances ſont ſi éloignées de cette conſtitution réelle & intérieure, d’où dépendent leurs Qualitez ſenſibles ; & qu’elles ne ſont compoſées que d’une collection imparfaite des Qualitez apparentes que nos Sens peuvent découvrir, il ne peut y avoir que très-peu de Propoſitions générales touchant les Subſtances, de la vérité réelle deſquelles nous puiſſions être certainement aſſûrez, parce qu’il y a fort peu d’Idées ſimples dont la connexion & la coëxiſtence néceſſaire nous ſoient connuës d’une matiére certaine & indubitable. Je croi pour moi, que parmi toutes les ſecondes Qualitez des Subſtances, & parmi les Puiſſances qui s’y rapportent, on n’en ſauroit nommer deux dont la coëxiſtence néceſſaire ou l’incompatiblité puiſſe être connuë certainement, hormis dans les Qualitez qui appartiennent au même Sens, leſquelles s’excluent néceſſairement l’une l’autre, comme je l’ai déjà montré. Perſonne, dis-je, ne peut connoître cer-