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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/541

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Des Axiomes. Liv. IV.

cune, ne tombera ſur ces ſortes de Propoſitions. Chaque Propoſition particuliére qui regarde l’Identité ou la Diverſité, eſt connuë auſſi clairement & auſſi certainement par elle-même, ſi on la conſidere avec attention, qu’aucune de ces deux Propoſitions générales, avec cette ſeule différence, que ces derniéres pouvant être appliquées à tous les cas, on y inſiſte davantage. Quant aux autres Maximes moins générales, il y en a pluſieurs qui ne ſont que des Propoſitions purement verbales, & qui ne nous apprennent autre choſe que le rapport que certains noms ont entr’eux. Telle eſt celle-ci, Le Tout eſt égale à toutes ſes parties ; car, je vous prie, quelle vérité réelle nous eſt enſeignée par cette Maxime ? Que contient-elle de plus que ce qu’emporte par ſoi-même la ſignification du mot Tout ? Et comprend-on que celui qui fait que le mot Tout ſignifie ce qui eſt compoſé de toutes ſes parties, ſoit fort éloigné de ſavoir, que le Tout eſt égal à toutes ſes parties ? Je croi ſur le même fondement que cette Propoſition, Une Montagne eſt plus haute qu’une Vallée, & pluſieurs autres ſemblables peuvent auſſi paſſer pour des Maximes. Cependant lorſque les Profeſſeurs en Mathematique veulent apprendre aux autres ce qu’ils ſavent eux-mêmes de cette Science, ils font très-bien de poſer à l’entrée de leurs Syſtêmes cette Maxime & quelques autres ſemblables, afin que dès le commencement leurs Ecoliers s’étant rendu tout-à-fait familières ces ſortes de Propoſitions, exprimées en termes généraux, ils puiſſent s’accoûtumer aux reflexions qu’elles renferment & à regarder ces Propoſitions plus générales comme autant de ſentences & de règles établies, qu’ils ſoient en état d’appliquer à tous les cas particuliers ; non qu’à les conſiderer avec une égale application elles paroiſſent plus claires & plus évidentes que les exemples particuliers pour la confirmation deſquels on les propoſe, mais parce qu’étant plus familiéres à l’Eſprit, il ſuffit de les nommer pour convaincre l’Entendement. Cela, dis-je, vient plûtôt, à mon avis, de la coûtume que nous avons de les mettre à cet uſage, & de les fixer dans notre Eſprit à force d’y penſer ſouvent, que de la différence évidence qui ſoit dans les Choſes. En effet, avant que la coûtume ait établi dans notre Eſprit des méthodes de penſer & de raiſonner, je m’imagine qu’il en eſt tout autrement, & qu’un Enfant à qui l’on ôte une partie de ſa pomme, le connoit mieux dans cet exemple particulier que par cette Propoſition générale, Le Tout eſt égale à toutes ſes parties, & que ſi l’une de ces choſes a beſoin de lui être confirmée par l’autre, il eſt plus néceſſaire que la Propoſition générale ſoit introduite dans ſon Eſprit, à la faveur de la Propoſition particuliére, que la particuliére par le moyen de la générale ; car c’eſt par des choſes particuliéres que commence notre Connoiſſance, qui s’étend enſuite par dégrez à des idées générales. Cependant, notre Eſprit prend après cela un chemin tout différent, car réduiſant ſa Connoiſſance à des Propoſitions auſſi générales qu’il peut, il ſe les rend familiéres & s’accoûtume à y recourir comme à des modèles du Vrai & du Faux, & les faiſant ſervir ordinairement de Règles pour meſurer la vérité des autres Propoſitions, il vient à ſe figurer dans la ſuite, que les Propoſitions plus particuliéres empruntent leur vérité & leur évidence de la conformité qu’elles ont avec ces Propoſitions plus générales, ſur leſquelles on appuye ſi