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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/551

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Des Propoſitions Frivoles. Liv. IV.

roquet, ne ſongeant qu’à faire du bruit, & à former certains ſons qu’il a appris de quelque autre, & qu’il prononce après lui, ſans ſavoir pourquoi, & non comme une Créature raiſonnable qui employe ces ſons comme autant de ſignes des idées qu’elle a dans l’Eſprit. Il faut ſuppoſer auſſi que celui qui écoute, entend les termes dans le même ſens que s’en ſert celui qui parle ; ou bien, ſon diſcours n’eſt qu’un vrai jargon, un bruit confus & inintelligible. C’eſt-pourquoi, c’eſt ſe jouer des mots que de faire une Propoſition qui ne contienne rien de plus que ce qui eſt renfermé dans l’un des termes, & qu’on ſuppoſe être déja connu de celui à qui l’on parle, comme, Un Triangle a trois côtez, ou Le ſaffran eſt jaune. Ce qui ne peut être ſouffert que, lorſqu’un homme veut expliquer à un autre les termes dont il ſe ſert, parce qu’il ſuppoſe que la ſignification lui en eſt inconnuë, ou lorſque la perſonne avec qui il s’entretient, lui déclare qu’il ne les entend point : auquel cas il lui enſeigne ſeulement la ſignification de ce mot, & l’uſage de ce ſigne.

§. 8.Et non, aucune connoiſſance réelle. Il y a donc deux ſortes de Propoſitions dont nous pouvons connoître la vérité avec une entiére certitude, l’une eſt de ces Propoſitions frivoles qui ont de la certitude, mais une certitude purement verbale, & qui n’apporte aucune inſtruction dans l’Eſprit. En ſecond lieu, nous pouvons connoître la vérité, & par ce moyen être certains des Propoſitions qui affirment quelque choſe d’une autre qui eſt une conſéquence néceſſaire de ſon idée complexe, mais qui n’y eſt pas renfermée, comme Que l’Angle extérieur de tout Triangle eſt plus grand que l’un des Angles intérieurs oppoſez ; car comme ce rapport de l’Angle extérieur à l’un des Angles intérieurs oppoſez ne fait point partie de l’Idée complexe qui eſt ſignifiée par le mot de Triangle, c’eſt là une vérité réelle qui emporte une connoiſſance réelle & inſtructive.

§. 9.Les Propoſitions générales concernant les Subſtances, ſont ſouvent frivoles. Comme nous n’avons que peu ou point de connoiſſance des Combinaiſons d’Idées ſimples qui exiſtent enſemble dans les Subſtances, que par le moyen de nos Sens, nous ne ſaurions faire ſur leur ſujet aucunes Propoſitions univerſelles, qui ſoient certaines au delà du terme où leurs Eſſences nominales nous conduiſent ; & comme ces Eſſences nominales ne s’étendent qu’à un petit nombre de véritez, très-peu importantes, eu égard à celles qui dépendent de leurs conſtitutions réelles, il arrive de là que les Propoſitions générales qu’on forme ſur les Subſtances, ſont pour la plûpart frivoles, ſi elles ſont certaines ; & que ſi elles ſont inſtructives, elles ſont incertaines, & de telle nature que nous ne pouvons avoir aucune connoiſſance de leur vérité réelle, quelque ſecours que de conſtantes obſervations & l’analogie puiſſe nous fournir pour former des conjectures. D’où il arrive qu’on peut ſouvent rencontrer des diſcours fort clairs & fort ſuivis qui ſe réduiſent pourtant à rien. Car il eſt viſible que les noms des Êtres ſubſtantiels, auſſi bien que les autres étant conſiderez dans toute l’étenduë de la ſignification relative qui leur eſt aſſignée, peuvent être joints, avec beaucoup de vérité, par des Propoſitions affirmatives & negatives, ſelon que leurs Définitions reſpectives les rendent propres à être unis enſemble, & que les Propoſitions, compoſées de ces ſortes de termes, peuvent être déduites l’une de l’autre