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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/553

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Des Propoſitions Frivoles. Liv. IV.

dans la même ſignification, il arrive que leurs diſcours, qui ſans être fort inſtructifs pourroient être du moins ſuivis & faciles à entendre, ne le ſont point du tout ; ce qui ne leur ſeroit pas fort mal-aiſé, s’ils ne trouvoient à propos de couvrir leur ignorance ou leur opiniâtreté ſous l’obſcurité & l’embarras des termes, à quoi peut-être l’inadvertance & une mauvaise habitude contribuent beaucoup à l’égard de pluſieurs perſonnes.

§. 12.Marques des Propoſitions verbales. I. Lorſqu’elles ſont compoſées de deux termes abſtraits affirmez l’un de l’autre. Prémiérement, toutes les Propoſitions où deux termes abſtraits ſont affirmez l’un de l’autre, ne concernent que la ſignification des ſons. Car nulle idée abſtraite ne pouvant être la même, avec aucune autre qu’avec elle-même, lorſque ſon nom abſtrait eſt affirmé d’un autre terme abſtrait, il ne peut ſignifier autre choſe ſi ce n’eſt que cette idée peut ou doit être appellée de ce nom ; ou que ces deux noms ſignifient la même idée. Ainſi, qu’un homme diſe, que l’Epargne eſt Frugalité, que la Gratitude eſt Juſtice, ou que telle ou telle action eſt ou n’eſt pas Temperance ; quelque ſpécieuſes que ces Propoſitions & autres ſemblables paroiſſent du premier coup d’œuil, cependant ſi l’on vient à en preſſer la ſignification & à examiner exactement ce qu’elles contiennent, on trouvera que tout cela n’emporte autre choſe que la ſignification de ces termes.

§. 13.Lorſqu’une partie de la définition eſt affirmée du terme défini. En ſecond lieu, toutes les Propoſitions où une partie de l’idée complexe qu’un certain terme ſignifie, eſt affirmé de ce terme, ſont purement verbales, comme ſi je dis que l’Or eſt un metal ou qu’il eſt peſant. Et ainſi toute Propoſition où les Mots de la plus grande étenduë qu’on appelle Genres ſont affirmez de ceux qui leur ſont ſubordonnez ou qui ont moins d’étenduë, qu’on nomme Eſpèces ou Individus, eſt purement verbale.

Si nous examinons ſur ces deux Règles les Propoſitions qui compoſent les Diſcours écrits ou non écrits, nous trouverons peut-être qu’il y en a beaucoup plus qu’on ne croit communément qui ne roulent que ſur la ſignification des mots, & qui ne renferment rien que l’uſage & l’application de ces ſignes.

En un mot, je croi pouvoir poſer pour une Règle infaillible, Que partout où l’idée qu’un mot ſignifie, n’eſt pas diſtinctement connuë & préſente à l’Eſprit, & où quelque choſe qui n’eſt pas déja contenu dans cette Idée, n’eſt pas affirmé ou nié, dans ce cas-là nos penſées ſont uniquement attachées à des ſons, & n’enferment ni vérité ni fauſſeté réelle. Ce qui, ſi l’on y prenoit bien garde, pourroit peut-être épargner bien de vains amuſemens & des diſputes, & abreger extrêmement la peine que nous prenons, les tours & détours que nous faiſons pour parvenir à une Connoiſſance réelle & véritable.