Aller au contenu

Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
513
De l’Exiſtence de Dieu. Liv. IV.

le pur Néant peut non plus produire un Etre réel, que le même Néant peut être égal à deux angles droits. S’il y a quelqu’un qui ne ſache pas, que le Non-être, ou l’abſence de tout Etre ne peut pas être égal à deux Angles droits, il eſt impoſſible qu’il conçoive aucune des Démonſtrations d’Euclide. Et par conſéquent, ſi nous ſavons que quelque Etre réel exiſte, & que le Non-être ne ſauroit produire aucun Etre, il eſt d’une évidence Mathematique que quelque choſe a exiſté de toute éternité ; puiſque ce qui n’eſt pas de toute éternité, a un commencement, & que tout ce qui a un commencement, doit avoir été produit par quelque autre choſe.

§. 4.Cet Etre Eternel doit être tout-puiſſant. Il eſt de la même évidence, que tout Etre qui tire ſon exiſtence & ſon commencement d’un autre, tire auſſi d’un autre tout ce qu’il a & tout ce qui lui appartient. On doit reconnoître, que toutes ſes Facultez lui viennent de la même ſource. Il faut donc que la ſource éternelle de tous les Etres, ſoit auſſi la ſource & le Principe de toutes les Puiſſances ou Facultez ; de ſorte que cet Etre éternel doit être auſſi Tout-Puiſſant.

§. 5.Tout intelligent. Outre cela, l’homme trouve en lui-même de la perception & de la connoiſſance. Nous pouvons donc encore avancer d’un degré, & nous aſſurer non ſeulement que quelque Etre exiſte, mais encore, qu’il y a au Monde quelque Etre Intelligent.

Il faut donc dire l’une de ces deux choſes, ou qu’il y a eu un temps auquel il n’y avoit aucun Etre intelligent, & auquel la Connoiſſance a commencé à exiſter ; ou bien qu’il y a eu un Etre Intelligent de toute Eternité. Si l’on dit, qu’il y a eu un temps, auquel aucun Etre n’a eu aucune Connoiſſance, & auquel l’Etre éternel étoit privé de toute intelligence, je replique, qu’il étoit impoſſible qu’une Connoiſſance exiſtât jamais. Car il eſt auſſi impoſſible, qu’une choſe abſolument deſtituée de Connoiſſance & qui agit aveuglément & ſans aucune perception, produiſe un Etre intelligent, qu’il eſt impoſſible qu’un Triangle ſe faſſe à ſoi-même trois angles qui ſoient plus grands que deux Droits. Et il eſt auſſi contraire à l’idée de la Matiére privée de ſentiment, qu’elle ſe produiſe à elle-même du ſentiment, de la perception & de la connoiſſance, qu’il eſt contraire à l’idée d’un Triangle, qu’il ſe faſſe à lui-même des angles qui ſoient plus grands que deux Droits.

§. 6.Et par conſéquent, Dieu lui-même. Ainſi, par la conſideration de nous-mêmes, & de ce que nous trouvons infailliblement dans notre propre nature, la Raiſon nous conduit à la connoiſſance de cette vérité certaine & évidente, Qu’il y a un Etre éternel, très-puiſſant, & très-intelligent, quelque nom qu’on lui veuille donner, ſoit qu’on l’appelle Dieu ou autrement, il n’importe. Rien n’eſt plus évident ; & en conſiderant bien cette idée, il ſera aiſé d’en déduire tous les autres Attributs que nous devons reconnoître dans cet Etre éternel. Que s’il ſe trouvoit quelqu’un aſſez déraiſonnable pour ſuppoſer, que l’Homme eſt le ſeul Etre qui ait de la Connoiſſance & de la ſageſſe, mais que néanmoins il a été formé par le pur hazard ; & que c’eſt ce même Principe aveugle & ſans connoiſſance qui conduit tout le reſte de l’Univers, je le prierai d’examiner à loiſir cette Cenſure tout-à-fait ſolide & pleine d’emphaſe que Ciceron fait ** De Legibus, Lib. 2. quelque part contre ceux qui pourroient avoir