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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/563

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De l’Exiſtence de Dieu. Liv. IV.

dépendantes des mouvemens déreglez de cette même matiére, c’eſt la même choſe, pour ne rien dire des bornes étroites où ſe trouveroient reſſerrées ces ſortes de penſées & de connoiſſances qui ſeroient dans une abſoluë dépendance du mouvement de ces différentes parties. Mais quoi que cette Hypotheſe ſoit ſujette à mille autres abſurditez, celle que nous venons de propoſer ſuffit pour en faire voir l’impoſſibilité, ſans qu’il ſoit néceſſaire d’en rapporter davantage. Car ſuppoſé que cet amas de Matiére penſant fût toute la Matiére, ou ſeulement une partie de celle qui compoſe cet Univers, il ſeroit impoſſible qu’aucune Particule connût ſon propre mouvement, ou celui d’aucune autre Particule, ou que le Tout connût le mouvement de chaque Partie dont il ſeroit compoſé, & qu’il pût par conſéquent régler ſes propres penſées ou mouvemens, ou plutôt avoir aucune penſée qui reſultât d’un ſemblable mouvement.

§. 18.La Matiére ne peut pas être coéternelle avec un Eſprit éternel. D’autres s’imaginent que la Matiére eſt éternelle, quoi qu’ils reconnoiſſent un Etre éternel, penſant & immateriel. A la vérité, ils ne détruiſent point par-là l’exiſtence d’un Dieu, cependant comme ils lui ôtent une des parties de ſon Ouvrage, la prémiére en ordre, & fort conſiderable par elle-même, je veux dire la Création, examinons un peu ce ſentiment. Il faut, dit-on, reconnoître que la Matiére eſt éternelle. Pourquoi ? Parce que vous ne ſauriez concevoir, comment elle pourroit être faite de rien. Pourquoi donc ne vous regardez-vous point auſſi vous-même comme éternel ? Vous répondrez peut-être, que c’eſt à cauſe que vous avez commencé d’exiſter depuis vingt ou trente ans. Mais ſi je vous demande ce que vous entendez par ce Vous qui commença alors à exiſter, peut-être ſerez-vous embarraſſé à le dire. La Matiére dont vous être compoſé, ne commença pas alors à exiſter ; parce que ſi cela étoit, elle ne ſeroit pas éternelle : elle commença ſeulement à être formée & arrangée de la maniére qu’il faut pour compoſer votre Corps. Mais cette diſpoſition de partie n’eſt pas Vous, elle ne conſtituë pas ce Principe penſant qui eſt en vous & qui eſt vous-même ; car ceux à qui j’ai à faire préſentement, admettent bien un Etre penſant, éternel & immateriel, mais ils veulent auſſi que la Matiére, quoi que non-penſante, ſoit auſſi éternelle. Quand eſt-ce donc que ce Principe penſant qui eſt en vous, a commencé d’exiſter ? S’il n’a jamais commencé d’exiſter, il faut donc que de toute éternité vous ayez été un Etre penſant ; abſurdité que je n’ai pas beſoin de refuter, juſqu’à ce que je trouve quelqu’un qui ſoit aſſez dépourvu de ſens pour la ſoûtenir. Que ſi vous pouvez reconnoître qu’un Etre penſant a été fait de rien (comme doivent être toutes les choſes qui ne ſont point éternelles) pourquoi ne pouvez-vous pas auſſi reconnoître, qu’une égale Puiſſance puiſſe tirer du néant un Etre materiel, avec cette ſeule différence que vous êtes aſſûré du prémier par votre propre expérience, & non pas de l’autre ? Bien plus ; on trouvera, tout bien conſideré, qu’il ne faut pas moins de pouvoir pour créer un Eſprit, que pour créer la Matiére. Et peut-être que ſi nous voulions nous éloigner un peu des idées communes, donner l’eſſor à notre Eſprit, & nous engager dans l’examen le plus profond que nous pourrions faire de la