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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/570

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De l’Exiſtence des autres Choſes. Liv. IV.

une fois fondée ſur le témoignage de nos Sens, elle eſt non ſeulement auſſi parfaite que notre Nature peut le permettre, mais même que notre condition le requiert. Car nos Facultez n’étant pas proportionnées à toute l’étenduë des Etres ni à une connoiſſance des Choſes claire, parfaite, abſoluë, & dégagée de tout doute & de toute incertitude, mais à la conſervation de nos Perſonnes en qui elles ſe trouvent, telles qu’elles doivent être pour l’uſage de cette vie, elles nous ſervent aſſez bien dans cette vûë, en nous donnant ſeulement à connoître d’une maniére certaine les choſes qui ſont convenables ou contraires à notre Nature. Car celui qui voit brûler une Chandelle & qui a éprouvé la chaleur de ſa flamme en y mettant le doigt, ne doutera pas beaucoup que ce ne ſoit une choſe exiſtante hors de lui, qui lui fait du mal & lui cauſe une violente douleur ; ce qui eſt une aſſez grande aſſurance, puiſque perſonne ne demande une plus grande certitude pour lui ſervir de règle dans ſes actions, que ce qui eſt auſſi certain que les actions mêmes. Que ſi notre ſongeur trouve à propos d’éprouver ſi la chaleur ardente d’une fournaiſe n’eſt qu’une vaine imagination d’un homme endormi, peut-être qu’en mettant la main dans cette fournaiſe, il ſe trouvera ſi bien éveillé que la certitude qu’il aura que c’eſt quelque choſe de plus qu’une ſimple imagination lui paroîtra plus grande qu’il ne voudroit. Et par conſéquent, cette évidence eſt auſſi grande que nous pouvons le souhaiter ; puiſqu’elle eſt auſſi certaine que le plaiſir ou la douleur que nous ſentons, c’eſt-à-dire, que notre bonheur ou notre miſere, deux choſes au delà deſquelles nous n’avons aucun intérêt par rapport à la connoiſſance ou à l’exiſtence. Une telle aſſûrance de l’exiſtence des choſes qui ſont hors de nous, ſuffit pour nous conduire dans la recherche du Bien & dans la ſuite du Mal qu’elles cauſent, à qui ſe réduit tout l’intérêt que nous avons de les connoître.

§. 9.Mais elle ne s’étend point au delà de la ſenſation actuelle. Lors donc que nos ſens introduiſent actuellement quelque idée dans notre Eſprit, nous ne pouvons éviter d’être convaincus qu’il y a, alors, quelque choſe qui exiſte réellement hors de nous, qui affecte nos Sens, & qui par leur moyen ſe fait connoître aux Facultez que nous avons d’appercevoir les Objets, & produit actuellement l’idée que nous appercevons en ce temps-là ; & nous ne ſaurions nous défier de leur témoignage juſqu’à douter ſi ces collections d’Idées ſimples que nos Sens nous ont fait voir unies enſemble, exiſtent réellement enſemble. Cette connoiſſance s’étend auſſi loin que le témoignage actuel de nos Sens, appliquez à des Objets particuliers qui les affectent en ce temps-là, mais elle ne va pas plus avant. Car ſi j’ai vû cette collection d’Idées qu’on a accoûtumé de déſigner par le nom d’Homme, ſi j’ai vû ces Idées exiſter enſemble depuis une minute, & que je ſois préſentement ſeul, je ne ſaurois être aſſûré que le même homme exiſte depuis une minute, & ſon exiſtence d’à préſent. Il peut avoir ceſſé d’exiſter en mille maniéres, depuis que j’ai été aſſûré de ſon exiſtence par le témoignage de mes Sens. Que ſi je ne puis être certain que le dernier homme que j’ai vû aujourd’hui, exiſte préſentement, moins encore puis-je l’ê-