Aller au contenu

Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
536
Des Moyens d’augmenter notre Connoiſſance.Liv. IV.

laquelle j’attache le nom d’Or, plus d’idées ſimples qu’auparavant, cependant comme cette idée ne renferme pas l’eſſence réelle d’aucune Eſpèce de Corps, elle ne me ſert point à connoître certainement le reſte des propriétez de Corps, qu’autant que ces propriétez ont une connexion viſible avec quelques-unes des idées ou avec toutes les idées ſimples qui conſtituent mon Eſſence nominale : je dis connoître certainement, car peut-être qu’elle peut nous aider à imaginer par conjecture quelque autre Propriété. Par exemple, je ne ſaurois être certain par l’idée complexe de l’Or que je viens de propoſer, ſi l’Or eſt fixe ou non, parce que ne pouvant découvrir aucune connexion ou incompatibilité néceſſaire entre l’idée complexe d’un Corps jaune, peſant, fuſible & malléable, entre ces Qualitez, dis-je, & celle de la fixité, de ſorte que je puiſſe connoître certainement, que dans quelque Corps que ſe trouvent ces Qualitez-là, il ſoit aſſûré que la fixité y eſt auſſi, pour parvenir à une entiére certitude ſur ce point, je dois encore recourir à l’Expérience ; & auſſi loin qu’elle s’étend, je puis avoir une connoiſſance certaine, & non au delà.

§. 10.Cela peut nous procurer des commoditez, & non une connoiſſance générale. Je ne nie pas qu’un homme accoûtumé à faire des Expériences raiſonnables & réguliéres ſoit capable de pénétrer plus avant dans la nature des Corps, & de former des conjectures plus juſtes ſur leurs propriétez encore inconnuës, qu’une perſonne qui n’a jamais ſongé à examiner ces Corps ; mais pourtant ce n’eſt, comme j’ai déja dit, que Jugement & opinion, & non Connoiſſance & certitude. Cette voye d’acquerir de la connoiſſance ſur le ſujet des Subſtances & de l’augmenter par le ſeul ſecours de l’Expérience & de l’Hiſtoire, qui eſt tout ce que nous pouvons obtenir de la foibleſſe de nos Facultez dans l’état de médiocrité où elles ſe trouvent dans cette vie ; cela, dis-je, me fait croire que la Phyſique n’eſt pas capable de devenir une Science entre nos mains. Je m’imagine que nous ne pouvons arriver qu’à une fort petite connoiſſance générale touchant les Eſpèces des Corps & leurs différentes propriétez. Quant aux Expériences & aux Obſervations Hiſtoriques, elles peuvent nous ſervir par rapport à la commodité & à la ſanté de nos Corps, & par-là augmenter le fonds des commoditez de la vie, mais je doute que nos talents aillent au delà ; & je m’imagine que nos Facultez ſont incapables d’étendre plus loin nos Connoiſſances.

§. 11.Nous ſommes faits pour cultiver les Connoiſſances Morales, & les Arts néceſſaires à cette vie. Il eſt naturel de conclurre de là, que, puiſque nos Facultez ne ſont pas capables de nous faire diſcerner la fabrique intérieure & les eſſences réelles des Corps, quoi qu’elles nous découvrent évidemment l’exiſtence d’un Dieu, & qu’elles nous donnent une aſſez grande connoiſſance de nous-mêmes pour nous inſtruire de nos Devoirs & de nos plus grands intérêts, il nous ſiéroit bien, en qualité de Créatures raiſonnables, d’appliquer les Facultez dont Dieu nous a enrichis, aux choſes auxquelles elles ſont le plus propres, & de ſuivre la direction de la Nature, où il ſemble qu’elle veut nous conduire. Il eſt, dis-je, raiſonnable de conclurre de là que notre véritable occupation conſiſte dans ces recherches & dans cette eſpèce de connoiſſance qui eſt plus proportionnée à notre capacité naturelle & d’où dépend notre plus grand intérêt, je veux dire notre condition dans l’éter-