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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/589

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De la Probabilité. Liv. IV.

tion ; & une Propoſition eſt en elle-même plus ou moins probable, ſelon que notre Connoiſſance, que la certitude de nos obſervations, que les expériences conſtantes & ſouvent réïterées que nous avons faites, que le nombre & la credibilité des témoignages conviennent plus ou moins avec elle, ou lui ſont plus ou moins contraires. J’avouë qu’il y a autre choſe, qui, bien qu’elle ne ſoit pas par elle-même un vrai fondement de Probabilité, ne laiſſe pas d’être ſouvent employée comme un fondement ſur lequel les hommes ont accoûtumé de ſe déterminer & de fixer leur croyance plus que ſur aucune autre choſe, c’eſt l’opinion des autres ; quoi qu’il n’y ait rien de plus dangereux ni de plus propre à nous jetter dans l’erreur parmi les hommes, que de connoiſſance & de vérité. D’ailleurs, ſi les ſentimens & la croyance de ceux que nous connoiſſons & que nous eſtimons, ſont un fondement légitime d’aſſentiment, les hommes auront raiſon d’être Payens dans le Japon, Mahometans en Turquie, Catholique Romains en Eſpagne, Proteſtans en Angleterre, & Lutheriens en Suede. Mais j’aurai occaſion de parler plus au long, dans un autre endroit, de ce faux Principe d’Aſſentiment.


CHAPITRE XVI.

Des Degrez d’Aſſentiment.


§. 1.Notre Aſſentiment doit être réglé par les fondemens de Probabilité.
COmme les fondemens de Probabilité que nous avons propoſé dans le Chapitre précedent, ſont la baſe ſur quoi notre Aſſentiment eſt bâti, ils ſont auſſi la meſure par laquelle ſes différens dégrez ſont ou doivent être réglez. Il faut ſeulement prendre garde que quelques fondemens de probabilité qu’il puiſſe y avoir, ils n’operent pourtant pas ſur un Eſprit appliqué à chercher la Vérité & à juger droitement, au de-là de ce qu’ils paroiſſent, du moins dans le prémier Jugement de l’Eſprit, ou dans la prémiére recherche qu’il fait. J’avoûë qu’à l’égard des opinions que les hommes embraſſent dans le Monde & auxquelles ils s’attachent le plus fortement, leur aſſentiment n’eſt pas toûjours fondé ſur une vûë actuelle des Raiſons qui ont prémiérement prévalu ſur leur Eſprit ; car en pluſieurs rencontres il eſt preſque impoſſible, & dans la plûplart très-difficile, à ceux-là même qui ont une Mémoire admirable, de retenir toutes les preuves qui les ont engagez, après un légitime examen, à ſe déclarer pour un certain ſentiment. Il ſuffit qu’une fois ils ayent épluché la matiére ſincerement & avec ſoin, autant qu’il étoit en leur pouvoir de le faire, qu’ils ſoient entrez dans l’examen de toutes les choſes particulières qu’ils pouvoient imaginer qui répandroient quelque Lumiére ſur la Queſtion, & qu’avec toute l’adreſſe dont ils ſont capables, ils ayent, pour ainſi dire, arrêté le compte, ſur toutes les preuves qui ſont venuës à leur connoiſſance. Ayant ainſi découvert une fois de quel côté il leur paroît que ſe trouve la Probabilité, après une recherche auſſi parfaite & auſſi exacte qu’ils ſoient capables de faire, ils impriment dans leur Mémoire la concluſion de cet examen,