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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/593

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De Dégrez d’Aſſentiment. Liv. IV.

tous les hommes dans les ſiécles, autant qu’il peut être connu, concourt avec l’expérience conſtante & continuelle qu’un homme fait en pareil cas, à confirmer la vérité d’un Fait particulier atteſté par des Témoins ſincéres : telles ſont toutes les conſtitutions & toutes les propriétez communes des Corps, & la liaiſon réguliére des Cauſes des Effets qui paroît dans le cours ordinaire de la Nature. C’eſt ce que nous appellons un Argument pris de la nature des choſes mêmes. Car ce qui par nos conſtantes obſervations & celles des autres hommes s’eſt toûjours trouvé de la même maniére, nous avons raiſon de le regarder comme un effet de cauſes conſtantes & réguliéres, quoi que ces cauſes ne viennent pas immédiatement à notre connoiſſance. Ainſi, Que le Feu ait échauffé un homme, Qu’il ait rendu du Plomb fluide, & changé la couleur ou la conſiſtance du Bois ou du Charbon, Que le Fer ait coulé au fond de l’Eau & nagé ſur le vif-argent ; ces Propoſitions & autres ſemblables ſur des faits particuliers, étant conformes à l’expérience que nous faiſons nous-mêmes auſſi ſouvent que l’occaſion s’en préſente ; étant généralement regardées par ceux qui ont occaſion de parler de ces matiéres, comme des choſes ſe trouvent toûjours ainſi, ſans que perſonne s’aviſe jamais de les mettre en queſtion, nous n’avons aucun droit de douter qu’une Relation qui aſſûre que telle choſe a été, ou que toute affirmation qui poſe qu’elle arrivera encore de la même maniére, ne ſoit véritable. Ces ſortes de Probabilitez approchent ſi fort de la Certitude, qu’elles règlent nos penſées auſſi abſolument, & ont une influence auſſi entiére ſur nos actions, que la Démonſtration la plus évidente ; & dans ce qui nous concerne, nous ne faiſons que peu ou point de différence entre de telles Probabilitez, & une connoiſſance certaine. Notre Croyance ſe change en Aſſurance, lorſqu’elle eſt appuyée ſur de tels fondemens.

§. 7.Un témoignage & une Expérience qu’on ne peut révoquer en doute produit pour l’ordinaire la confiance. Le dégré ſuivant de Probabilité, c’eſt lorſque je trouve par ma propre expérience & par le rapport unanime de tous les autres hommes qu’une choſe eſt la plûpart du temps telle que l’exemple, l’Hiſtoire nous apprenant dans tous les âges, & ma propre expérience me confirmant autant que j’ai occaſion de l’obſerver, que la plûpart des hommes préferent leur intérêt particulier à celui du Public, ſi tous les Hiſtoriens qui ont écrit de Tibere, diſent que Tibere en a uſé ainſi, cela eſt probable. Et en ce cas, notre aſſentiment eſt aſſez bien fondé pour s’élever juſqu’à un dégré qu’on peut appeller confiance.

§. 8.Un Témoignage non ſuſpect & la nature de la choſe qui eſt indifférente, produit auſſi une ferme croyance. En troiſiéme lieu, dans des choſes qui arrivent indifféremment, comme qu’un Oiſeau vole de ce côté ou de celui-là, qu’il tonne à la main droite ou à la main gauche d’un homme, &c. lorſqu’un fait particulier de cette nature eſt atteſté par le témoignage uniforme de Témoins non-ſuſpects, nous ne pouvons pas éviter non plus d’y donner notre conſentement. Ainſi, qu’il y ait en Italie une ville appelée Rome, que dans cette Ville il ait vécu il y a environ 1700 ans un homme nommé Jules Céſar ; que cet homme fut Général d’Armée, & qu’il gagna une Bataille contre un autre Général nommé Pompée, quoi qu’il n’y ait rien dans la nature des choſes pour ou contre ces Faits, cependant comme ils ſont rapportez par des Hiſ-