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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/605

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De la Raiſon. Liv. IV.

de ces formes Syllogiſtiques pour être forcé à reconnoître la conſéquence dont la vérité & la juſteſſe paroiſſent bien mieux en mettant les Idées dans un ordre ſimple & naturel. De-là vient que les hommes ne font jamais des Syllogiſmes en eux-mêmes, lorsqu’ils cherchent la Vérité, ou qu’ils l’enſeignent à des gens qui deſirent ſincerement de la connoître ; parce qu’avant que de pouvoir mettre leurs penſées en forme Syllogiſtique, il faut qu’ils voyent la connexion qui eſt entre l’Idée moyenne & les deux autres idées entre leſquelles elle eſt placée, & auxquelles elle eſt appliquée pour faire voir leur convenance ; lorsqu’ils voyent une fois cela, ils voyent ſi la conſéquence eſt bonne ou mauvaiſe, & par conſéquent le Syllogiſme vient trop tard pour l’établir. Car, pour me ſervir encore de l’exemple qui a été propoſé ci-deſſus, je demande ſi l’Eſprit venant à conſiderer l’idée de Juſtice, placée comme une idée moyenne entre la punition des hommes & la couple de celui qui eſt puni, (idée que l’Eſprit ne peut employer comme un terme moyen avant qu’il l’ait conſiderée dans ce rapport) je demande ſi dès-lors il ne voit pas la force & la validité de la conſéquence, auſſi clairement que lorſqu’on forme un Syllogiſme de ces Idées. Et pour faire voir la même choſe dans un exemple tout-à-fait ſimple & aiſé à comprendre, ſuppoſons que le mot Animal ſoit l’Idée moyenne, ou, comme on parle dans les Ecoles, le terme moyen que l’Eſprit employe pour montrer la connexion d’homo & de vivens, je demande ſi l’Eſprit ne voit pas cette liaiſon auſſi promptement & auſſi nettement lorſque l’Idée qui lie ces deux termes eſt placée au milieu de cet arrangement ſimple & naturel,

Homo ________ Animal _________ Vivens,

que dans cet autre plus embarraſſé,

Animal____ Vivens ____ Homo ____ Animal ;

ce qui eſt la poſition qu’on donne à ces Idées dans un Syllogiſme, pour faire voir la connexion qui eſt entre homo & vivens par l’intervention du mot Animal.

On croit à la vérité que le Syllogiſme eſt néceſſaire à ceux-mêmes qui aiment ſincerement la Vérité pour leur faire voir les Sophiſmes qui ſont ſouvent cachez ſous des diſcours fleuris, pointilleux, ou embrouillez. Mais on ſe trompe en cela, comme nous verrons ſans peine ſi nous conſiderons que la raiſon pourquoi ces ſortes de diſcours vagues & ſans liaiſon, qui ne ſont pleins que d’une veine Rhetorique, impoſent quelquefois à des gens qui aiment ſincerement la Vérité, c’eſt que leur Imagination étant frappée par quelques Métaphores vives & brillantes, ils négligent d’examiner quelles ſont les véritables Idées d’où dépend la conſéquence du Diſcours, ou bien éblouïs de l’éclat de ces Figures ils ont de la peine à découvrir ces Idées. Mais pour leur faire voir la foibleſſe de ces ſortes de Raiſonnemens, il ne faut que les dépouiller des idées ſuperfluës qui mêlées & confonduës avec celles d’où dépend la conſéquence, ſemblent faire voir une connexion où il n’y a point de connexion ; après quoi il faut placer dans leur ordre naturel ces idées nuës d’où dépend la force de l’Argumentation ; & l’Eſprit venant à les conſiderer en elles-mêmes dans une telle poſition, vit bientôt quelles