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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/612

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De la Raiſon. Liv. IV.

faute, & non celle de la Raiſon. Cependant les conſéquences n’en ſont pas moins communes ; & l’on voit par-tout les embarras ou les erreurs qu’ils produiſent dans l’Eſprit des hommes.

§. 14.Le plus haut dégré de notre Connoiſſance eſt l’intuition, ſans raiſonnement. Entre les Idées que nous avons dans l’Eſprit, il y en a qui peuvent être immédiatement comparées par elles-mêmes, l’une avec l’autre ; & à l’égard de ces Idées l’Eſprit eſt capable d’appercevoir qu’elles conviennent ou diſconviennent auſſi clairement que l’Arc d’un Cercle eſt plus petit que tout le Cercle, qu’il apperçoit l’idée même d’un Cercle : & c’eſt ce que j’appelle à cauſe de cela une Connoiſſance intuitive, comme j’ai dejà dit : Connoiſſance certaine, à l’abri de tout doute, qui n’a beſoin d’aucune preuve & ne peut en recevoir aucune, parce que c’eſt le plus haut point de toute la Certitude humaine. C’eſt en cela que conſiſte l’évidence de toute la Certitude humaine. C’eſt en cela que conſiſte l’évidence de toutes ces Maximes ſur leſquelles perſonne n’a aucun doute, de ſorte que non ſeulement chacun leur donne ſon conſentement, mais les reconnoit pour véritables dès qu’elles ſont propoſées à ſon Entendement. Pour découvrir & embraſſer ces véritez, il n’eſt pas néceſſaire de faire aucun uſage de la Faculté de diſcourir, on n’a pas beſoin du Raiſonnement, car elles ſont connuës dans un plus haut dégré d’évidence ; dégré que je ſuis tenté de croire (s’il eſt permis de hazarder des conjectures ſur des choſes inconnuës) tel que celui que les Anges ont préſentement, & que les Eſprits des hommes juſtes parvenus à la perfection auront dans l’Etat-à-venir, ſur mille choſes qui à préſent échappent tout-à-fait à notre Entendement & deſquelles notre Raiſon dont la vûë eſt ſi bornée, ayant découvert quelques foibles rayons, tout le reſte demeure enſeveli dans les ténèbres à notre égard.

§. 15.Le ſuivant eſt la Démonſtration par voye de raiſonnement. Mais quoi que nous voyions çà & là quelque lueur de cette pure Lumiére, quelques étincelles de cette éclatante Connoiſſance ; cependant la plus grande partie de nos Idées ſont de telle nature que nous ne ſaurions diſcerner leur convenance ou leur diſconvenance en les comparant immédiatement enſemble. Et à l’égard de toutes ces Idées nous avons beſoin du Raiſonnement, & ſommes obligez de faire nos découvertes par le moyen du diſcours & des déductions. Or ces Idées ſont de deux ſortes, que je prendrai la liberté d’expoſer encore aux yeux de mon Lecteur.

Il y a prémiérement, les Idées dont on peut découvrir la convenance ou la diſconvenance par l’intervention d’autres Idées qu’on compare avec elles, quoi qu’on ne puiſſe la voir en joignant enſemble ces prémiéres Idées. Et en ce cas-là, lorſque la convenance ou la diſconvenance des Idées moyennes avec celles auxquelles nous voulons les comparer, ſe montrent viſiblement à nous, cela fait une Démonſtration qui emporte avec ſoi une vraye connoiſſance, mais qui, bien que certaine, n’eſt pourtant pas ſi aiſée à acquerir ni tout-à-fait ſi claire que la Connoiſſance Intuitive. Parce qu’en celle-ci il n’y a qu’une ſeule intuition, pure & ſimple, ſur laquelle on ne ſauroit ſe méprendre ni avoir la moindre apparence de doute, la vérité y paroiſſant tout à la fois dans ſa derniére perfection. Il eſt vrai que l’intuition ſe trouve auſſi dans la Démonſtration, mais ce n’eſt pas tout à la fois ; car il faut retenir dans ſa Mémoire l’intuition de la convenance que l’Idée