Aller au contenu

Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/619

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
576
De la Foi & de la Raiſon ;

rance qu’il y a que cette Hiſtoire eſt une Revelation eſt toûjours moindre que l’aſſurance qui lui vient des Sens.

§. 5.La Revelation ne peut être reçuë contre une claire évidence de la Raiſon. Ainſi, à l’égard des Propoſitions dont la certitude eſt fondée ſur la perception claire de la convenance ou de la disconvenance de nos idées qui nous eſt connuë ou par une intuition immédiate comme dans les Propoſitions évidentes par elles-mêmes, ou par des déductions évidentes de la Raiſon comme dans les Démonſtrations, le ſecours de la Revelation n’eſt point néceſſaire pour gagner notre Aſſentiment, & pour introduire ces Propoſitions dans notre Eſprit. Parce que les voyes naturelles par où nous vient la Connoiſſance, peuvent les y établir, ou l’ont déja fait : ce qui eſt la plus grande aſſurance que nous puiſſions peut-être avoir de quoi que ce ſoit, hormis lorſque Dieu nous le revele immédiatement ; & dans cette occaſion même notre aſſûrance ne ſauroit être plus grande que la connoiſſance que nous avons que c’eſt une Revelation qui vient de Dieu. Mais je ne croi pourtant pas que ſous ce titre rien puiſſe ébranler ou renverſer une connoiſſance évidente, & engager raiſonnablement aucun homme à recevoir pour vrai ce qui eſt directement contraire à une choſe qui ſe montre à ſon Entendement avec une parfaite évidence. Car nulle évidence dont puiſſent être capables les Facultez par où nous recevons de telles Revelations, ne pouvant ſurpaſſer la certitude de notre Connoiſſance intuitive, ſi tant eſt qu’elle puiſſe l’égaler : il s’enſuit de-là que nous ne pouvons jamais prendre pour vérité aucune choſe qui ſoit directement contraire à notre Connoiſſance claire & diſtincte. Parce que l’évidence que nous avons, prémiérement, que nous ne nous trompons point en attribuant une telle choſe à Dieu, & en ſecond lieu, que nous en comprenons le vrai ſens, ne peut jamais être ſi grande que l’évidence de notre propre Connoiſſance Intuitive par où nous appercevons qu’il eſt impoſſible que deux Idées dont nous voyons intuitivement la disconvenance, doivent être regardées ou admiſes comme ayant une parfaite convenance entr’elles. Et par conſéquent, nulle Propoſition ne peut être reçuë pour Revelation divine, ou obtenir l’aſſentiment qui eſt dû à toute Revelation divine, ou obtenir l’aſſentiment qui eſt dû à toute Revelation émanée de Dieu, ſi elle eſt contradictoirement oppoſée à notre Connoiſſance claire & de ſimple vûë ; par ce que ce ſeroit renverſer les Principes & les fondemens de toute Connoiſſance & de tout aſſentiment ; de ſorte qu’il ne reſteroit plus de différence dans le Monde entre la Vérité & la Fauſſeté, nulles meſures du Croyable & de l’Incroyable, ſi des Propoſitions douteuſes devoient prendre place devant des Propoſitions évidentes par elles-mêmes, & que ce que nous connoiſſons certainement, dût ceder le pas à ce ſur quoi nous ſommes peut-être dans l’erreur. Il eſt donc inutile de preſſer comme articles de Foi des Propoſitions contraires à la perception claire que nous avons de la convenance ou de la disconvenance d’aucune de nos Idées. Elles ne ſauroient gagner notre aſſentiment ſous ce titre, ou ſous quelque autre que ce ſoit. Car la Foi ne peut nous convaincre d’aucune choſe qui ſoit contraire à notre Connoiſſance ; parce qu’encore que la Foi ſoit fondée ſur le témoignage de Dieu, qui ne peut mentir, & par qui telle ou telle Propoſition nous eſt revelée, cependant nous ne ſaurions être aſſûrez qu’elle eſt véritablement une