Aller au contenu

Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/622

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
579
& de leurs bornes diſtinctes. Liv. IV.

En ſecond lieu, toutes les Propoſitions ſur lesquelles l’Eſprit peut ſe déterminer, avec le ſecours de ſes Facultez naturelles, par des déductions tirées des idées qu’il a acquiſes naturellement, ſont du reſſort de la Raiſon, mais toûjours avec cette différence qu’à l’égard de celles ſur leſquelles l’Eſprit n’a qu’une évidence incertaine, n’étant perſuadé de leur vérité que ſur des fondemens probables, qui n’empêchent point que le contraire ne puiſſe être vrai ſans faire violence à l’évidence certaine de ſes propres Connoiſſances, & ſans détruire les Principes de tout Raiſonnement ; à l’égard, dis-je, de ces Propoſitions probables, une Revelation évidente doit déterminer notre aſſentiment, & même contre la probabilité. Car lorsque les Principes de la Raiſon n’ont pas fait voir évidemment qu’une Propoſition eſt certainement vraye ou fauſſe, en ce cas-là une Revelation manifeſte, comme un autre Principe de vérité, & un autre fondement d’aſſentiment, a lieu de déterminer l’Eſprit ; & ainſi la Propoſition appuyée de la Revelation devient matiére de Foi, & au-deſſus de la Raiſon. Parce que dans cet article particulier la Raiſon ne pouvant s’élever au-deſſus de la Probabilité, la Foi a déterminé l’Eſprit où la Raiſon eſt venuë à manquer, la Revelation ayant découvert de quel côté ſe trouve la Vérité.

§. 10.Il faut écouter la Raiſon dans des matieres où elle peut fournir une Connoiſſance certaine. Juſques-là s’étend l’Empire de la Foi, & cela ſans faire aucune violence ou aucun obſtacle à la Raiſon, qui n’eſt point bleſſée ou troublée, mais aſſiſtée & perfectionnée par de nouvelles découvertes de la Vérité, émanées de la ſource éternelle de toute Connoiſſance. Tout ce que Dieu a revelé, eſt certainement véritable, on n’en ſauroit douter. Et c’eſt-là le propre objet de la Foi. Mais pour ſavoir ſi le Point en queſtion eſt une Revelation ou non, il faut que la Raiſon en juge, elle qui ne peut jamais permettre à l’Eſprit de rejetter une plus grande évidence pour embraſſer ce qui eſt moins évident, ni ſe déclarer pour la probabilité par oppoſition à la Connoiſſance & à la Certitude. Il ne peut point y avoir d’évidence, qu’une Revelation connuë par Tradition vient de Dieu dans les termes que nous la recevons & dans le ſens que nous l’entendons, qui ſoit ſi claire & ſi certaine que celle des Principes de la Raiſon. C’eſt pourquoi nulle choſe contraire ou incompatible avec des déciſions de la Raiſon, claires & évidentes par elles-mêmes, n’a droit d’être preſſée ou reçuë comme une matiére de Foi à laquelle la Raiſon n’ait rien à voir. Tout ce qui eſt Revelation divine, doit prévaloir ſur nos opinions, ſur nos préjugez, & nos intérêts, & eſt en droit d’exiger de l’Eſprit un parfait aſſentiment. Mais une telle ſoûmiſſion de notre Raiſon à la Foi ne renverſe pas les limites de la Connoiſſance, & n’ébranle pas les fondemens de la Raiſon, mais nous laiſſe la liberté d’employer nos Facultez à l’uſage pour lequel elles nous ont été données.

§. 11.Si l’on n’établit pas des bornes entre la Foi & la Raiſon, il n’y a rien de ſi fanatique ou de ſi extravagant en matiére de Religion qui puiſſe être refuté. Si l’on n’a ſoin de diſtinguer les différentes Juridictions de la Foi & de la Raiſon par le moyen de ces bornes, la Raiſon n’aura abſolument point de lieu en matiére de Religion, & l’on n’aura aucun droit de blâmer les opinions & les cérémonies extravagantes qu’on remarque dans la plûpart des Religions du Monde ; car c’eſt à cette coûtume