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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/80

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de pratique ne ſont innez. Liv. I.

pratiquer ce qu’il commande, ſoit reçuë de bien des gens pour un Principe de Morale, gravé naturellement dans l’Eſprit de tous les hommes, quelque véritable & quelque certaine qu’elle ſoit ; puis qu’elle enſeigne ſi peu de choſe. Mais quiconque lui attribuera ce privilége, ſera en droit de regarder cent autres Propoſitions comme des Principes innez, car il y en a pluſieurs que perſonne ne s’eſt encore aviſé de mettre dans ce rang, qui peuvent y être placées avec autant de fondement que cette prémiére Propoſition.

§. 19.On continuë d’examiner les Principes innez, propoſez par Mylord Herbert. La quatriéme Propoſition, qui porte que tous les hommes doivent ſe repentir de leurs péchez, n’eſt pas plus inſtructive, juſqu’à ce qu’on aît expliqué quelles ſont les actions qu’on appelle des Péchez. Car le mot de péché étant pris (comme il l’eſt ordinairement) pour ſignifier en général de mauvaiſes actions qui attirent quelque châtiment ſur ceux qui le commettent ; nous donne-t-on un grand Principe de Morale, en nous diſant que nous devons être affligez d’avoir commis, & que nous devons ceſſer de commettre ce qui ne peut que nous rendre malheureux, ſi nous ignorons quelles ſont ces actions particuliéres que nous ne pouvons commettre ſans nous réduire dans ce triſte état ? Cette Propoſition eſt ſans doute très-véritable. Elle eſt auſſi très-propre à être inculquée dans l’eſprit de ceux qu’on ſuppoſe avoir appris quelles actions ſont des péchez dans les différentes circonſtances de la vie ; & elle doit être reçuë de tous ceux qui ont acquis ces connoiſſances. Mais on ne ſauroit concevoir que cette Propoſition ni la précédente, ſoient des Principes innez, ni qu’elles ſoient d’aucun uſage, quand bien elles ſeroient innées ; à moins que la meſure & les bornes préciſes de toutes les Vertus & de tous les Vices n’euſſent auſſi été gravées dans l’Ame des hommes, & ne fuſſent autant de Principes innez ; dequoi l’on a, je penſe, grand ſujet de douter. D’où je conclus qu’il ne ſemble preſque pas poſſible, que Dieu aît imprimé dans l’Ame des hommes, des Principes, conçus en termes vagues, tels que ceux de Vertu & de Péché, qui dans l’Eſprit de différentes perſonnes ſignifient des choſes fort différentes. On ne ſauroit, dis-je, ſuppoſer que ces ſortes de Principes puiſſent être attachez à certains mots, parce qu’ils ſont pour la plûpart compoſez de termes généraux qu’on ne ſauroit entendre, avant que de connoître les idées particuliéres qu’ils renferment. Car à l’égard des exemples de pratique, l’on ne peut en bien en juger que par la connoiſſance des actions mêmes ; & les Règles ſur leſquelles ces actions ſont fondées, doivent être indépendantes des mots, & préceder la connoiſſance du langage ; de ſorte qu’un homme doit connoître ces Règles, quelque Langue qu’il apprenne, le François, l’Anglois, ou le Japonnois ; dût-il même n’apprendre aucune Langue, & n’entendre jamais l’uſage des mots, comme il arrive aux ſourds & aux muets. Quand on aura fait voir, que des hommes qui n’entendent aucun Language, & qui n’ont pas appris par le moyen des Loix & des coûtumes de leur Païs, Qu’une partie du Culte de Dieu conſiſte à ne tuer perſonne, à n’avoir de commerce qu’avec une ſeule femme, à ne pas faire périr des Enfans dans le ventre de leur Mére, à ne pas les expoſer, à n’ôter point aux autres ce qui leur appartient, quoi qu’on en aît beſoin ſoi-même, mais au contraire à les ſecourir dans