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Page:London - La Croisière du Dazzler', trad. Postif, 1948.djvu/105

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Joë levait la tête pour goûter la scène tout son saoul. De fait, c’en était assez pour enthousiasmer n’importe quel gamin normal et Joë ne faisait certes pas exception à la règle. Le côté romanesque de l’aventure le remuait étrangement et son bonheur eût été complet s’il avait pu oublier l’immoralité de ses compagnons et le genre de leur besogne. Cela, et la pensée que Pete-le-Français dormait comme une brute en bas, gâtait le charme de cette journée. Étranger à un milieu aussi sordide, il se scandalisait des dures réalités de la vie. Mais au lieu de le déprimer, comme elles l’eussent fait chez un garçon d’une nature plus faible, elles produisirent un effet contraire. Elles renforcèrent sa volonté d’être honnête et fort, et de n’avoir jamais à rougir de lui-même.

Il regarda autour de lui et poussa un soupir. Pourquoi les hommes ne pouvaient-ils être francs et loyaux ? Il lui en coûtait de renoncer à cette nouvelle existence ; mais les événements de la nuit laissaient sur lui une profonde impression. Il comprenait que, pour demeurer fidèle à lui-même, il lui faudrait s’enfuir. Arrivé à ce point de ses réflexions, il entendit qu’on l’appelait au petit déjeuner. Frisco Kid était aussi bon cuisinier que bon marin, et Joë s’empressa de faire honneur au menu, qui se composait de farine bouillie, de lait condensé, de bifteck aux pommes frites, de délicieuses rôties de pain français et d’un succulent café.

Malgré les efforts répétés de Frisco Kid pour l’éveiller, Pete ne les rejoignit pas. Il grommela quelques mots, poussa des grognements, entrouvrit ses yeux chassieux et se remit à ronfler.