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Page:Londres - L’Âme qui vibre, 1908.djvu/188

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L’ÂME QUI VIBRE


L’enfant, mère, a raison. Quoique cela nous coûte,
Ayons l’air d’oublier les morts sur notre route.
Si nous les retrouvons dans le pays promis,
Nous les embrasserons comme de vieux amis.
Mais il faut, aujourd’hui, les laisser en arrière.
Dressons, entre eux et nous, un poteau de frontière,
Nous n’avons pas le droit d’arrêter notre effort ;
Maudit soit le marin qui déserte son port.

« Que mon fils a changé ! » mère, vous allez dire.
Mais non ! Je n’ai pas plus changé que mon sourire.
Pour moi, mon âme est douce au point que l’on dirait
Qu’en elle, nuit et jour, coule un ruisseau de lait.
Mais il faut se défendre et s’armer pour la vie,
Il faut abattre le jaloux qui vous envie.
Ce n’est pas moi qui suis méchant, qui suis ingrat,
— Je vous dis que je suis plus doux qu’un angora —
Mais c’est la terre et c’est le monde, et puis c’est l’homme
Qui me vaincra, si le premier je ne l’assomme.
Souvent, soyez-en sûre, ô mère de bonté !
Ma douceur voudrait bien primer ma volonté ;
Mais voulant, à côté de la flamme sublime,
M’élever au-dessus du brasier anonyme,
Je dois incessamment me cravacher le cœur
Et fouler le vaincu pour être le vainqueur.

Août 1907.