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Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/18

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tingués ; elle comptait parmi ses poëtes dramatiques des hommes du plus haut mérite, entre autres le fameux Guillen de Castro, le premier auteur du Cid, avec lequel Lope se lia d’une manière intime. Dans mon opinion, Lope écrivit dès cette époque pour le théâtre, ou, tout au moins, il devait fréquemment discuter avec Guillen et les autres la théorie dramatique. De temps en temps il quittait Valence et faisait des excursions dans les diverses provinces de l’Espagne, amassant un riche trésor de faits et d’observations. Lorsqu’un homme a été choisi par la Providence pour remplir une mission de gloire, tout lui sert, tout lui profite, jusqu’à ses malheurs.

Que devenait cependant doña Isabelle ? Elle n’oubliait pas Lope, elle vivait pour lui. Malgré l’extrême délicatesse de sa complexion, elle quittait souvent Madrid et venait passer quelques instants auprès de l’époux bien-aimé. Ils se retrouvaient à Valence, ou dans quelque bourg des environs, en secret, à la dérobée, comme deux amants coupables. Mais ces voyages et la fatigue achevaient de détruire la santé d’Isabelle, déjà altérée par les chagrins. Une fois, elle arrive à l’improviste, épuisée, mourante. Lope n’y était pas. On l’avertit. Il accourt… pour recevoir le dernier soupir d’Isabelle, qui peut-être elle-même était venue pour mourir dans ses bras.

Lope fut vivement affligé de cette perte. Il a laissé l’expression de sa douleur dans une pièce de vers composée sur ce sujet, et adressée à Isabelle. Il la prie de hâter autant que possible l’instant de leur réunion ; il la conjure d’intercéder pour lui le maître souverain des lieux qu’elle habite, ajoutant, avec une grâce ingénieuse, que les prières d’un nouvel hôte sont toujours plus favorablement écoutées[1].

Philippe II préparait alors sa fameuse expédition contre l’Angleterre ; toute la jeunesse d’Espagne s’engageait sur l’Armada, impatiente d’aller châtier les mécréants, et de venger Marie Stuart, dont la catastrophe était toute récente. Pour notre pauvre Lope, il entrevit l’espoir de terminer une vie désormais odieuse, et accompagné du fidèle Claudio, il partit. Mais son heure n’était pas encore sonnée, et d’autres épreuves l’attendaient. Il avait retrouvé à Lisbonne un frère

  1. Egloga en la muerte de doña Isabel de Urbina.