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Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/24

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breuses barques courent à pleines voiles, semblables à des cygnes qui nagent les ailes déployées ; ces allées de platanes où la vue plonge et se perd, ayant rangées sur leurs bords les statues des grands hommes de tous les pays et de tous les temps, etc., etc., etc. C’est Lope lui-même qui, dans une épître au licencié Francisco de Rioja, s’est amusé à nous décrire ainsi son jardin idéal.

Vers 1620, on voit gracieusement apparaître dans la maison de Lope une jeune fille nommée Marcela, qui semble l’ange protecteur du vieillard. Qui était Marcela ? demanderez-vous. C’est à quoi il serait difficile de répondre d’une manière précise. Montalvan ne parle d’elle qu’avec une réserve extrême, comme d’une proche parente de Lope. Lope, dans plusieurs de ses ouvrages, la nomme l’objet chéri de son amour. Marcela était d’ailleurs une jeune fille d’une rare distinction. En lui dédiant, en 1620, l’une de ses plus jolies pièces (El remedio en la desdicha), Lope lui parlait ainsi : « J’ai dans mes jeunes années tiré cette pièce de la Diane de Montemayor, et vous pouvez y lire cette histoire, dont les chroniques des guerres de Grenade nous attestent la vérité. Mais si l’on doit plus encore au sang dont on est sorti qu’au plaisir de son intelligence, faites à mon travail la grâce de le lire, et corrigez les défauts de ma jeunesse avec votre esprit ; car, malgré votre âge si tendre, il brille d’un tel éclat, que sans doute la nature, qui l’avait demandé au ciel pour la consolation et le dédommagement de quelque laide, vous l’a donné par mégarde. C’est du moins mon opinion, et nul de ceux qui vous ont vue ne prendra ce langage pour une flatterie. Que Dieu vous garde et vous rende heureuse, bien que vos qualités vous doivent empêcher de l’être, surtout si vous héritez de ma destinée ! Mais alors puissiez-vous avoir des consolations aussi douces que celles qu’il m’a données en vous ! Votre père. »

Au moment où Lope se félicitait des consolations que lui donnait Marcela, celle-ci, inspirée sans doute par des motifs de l’ordre le plus élevé, songeait à se séparer de l’homme dont elle était l’orgueil et la joie. À l’âge de quinze ans, elle entra dans l’ordre des carmélites déchaussées. Lope lui-même nous a raconté cela dans une de ses épîtres les plus intéressantes, et son récit a un cachet singulièrement espagnol. Un jour, au matin, Marcela vient le trouver dans son cabinet d’étude.