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Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/314

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Pinzon.

Attendez que les Mores de Grenade se soient rendus, et comptez sur le roi catholique. Faites ce bien-là à l’Espagne.

Colomb.

Non ! j’aime mieux partir. Moi aussi j’ai besoin de repos. Allez donc tous deux préparer nos effets. — Pour moi, je vous attendrai ici, tout en parcourant ces cartes et m’amusant avec mon compas.

Barthélemy.

Ne va pas, selon ton habitude, t’enfoncer à mille lieues dans tes rêveries ; et puisque tu es décidé à revenir à la maison, et que tu renonces à ton projet, pourquoi t’en occuper encore ? Pourquoi ces plans, ce compas ?

Barthélemy et Pinzon sortent. Colomb, assis et le compas à la main, considère dans une profonde attention une mappemonde.
Colomb.

Je vais les attendre assis au pied de ce chêne. — La terre et l’eau font un niveau égal… La terre est de forme sphérique, comme le prouve l’ombre de la lune dans les éclipses, et l’immobilité du globe au milieu de l’univers[1]. Cinq zones la partagent comme les cercles partagent la sphère : la région équinoxiale, les pôles et les tropiques. Les zones froides sont habitées, quoique médiocrement. Les zones tempérées sont d’un séjour aimable et facile. Celle-ci, qui est au milieu, et placée sous les tropiques, est constamment frappée par les rayons d’un soleil ardent, et elle paraît à nos yeux inhabitable. Mais le ciel m’inspire le contraire ; il me dit qu’il doit y avoir là des êtres humains, et que notre pôle a des antipodes… Mais à quoi bon me fatiguer incessamment sur la même pensée ? Le pauvre, quel que soit son génie, ne devrait jamais s’abandonner à ces hautes spéculations ; car il a beau se sentir des ailes, la nécessité, comme une pierre pesante, le retient invinciblement attaché à la terre.


Entre L’IMAGINATION. Elle descend d’en haut, et elle est vêtue d’habits aux couleurs éclatantes et variées.
L’Imagination.

À quoi penses-tu, Colomb ? Pourquoi promener ainsi ton compas sur ces cartes ?

Colomb.

Qui es-tu, toi qui m’interroges ?

L’Imagination.

Ta propre imagination.

  1. Il faut se rappeler qu’à l’époque de Colomb on ne connaissait pas encore le mouvement de la terre, qui ne fut proclamé qu’environ un siècle et demi plus tard par Galilée. La pièce même de Lope fut composée quinze ou vingt ans avant cette importante découverte.