Aller au contenu

Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Laurencia.

Est-ce que le commandeur va revenir ?

Florez.

Dans un moment. La guerre est finie, et ce n’est pas sans qu’elle nous ait coûté du sang et quelques amis.

Frondoso.

Conte-nous ce qui s’est passé.

Florez.

Personne ne le peut mieux que moi, qui ai tout vu de mes yeux. — Pour faire cette expédition sur Ciudad-Réal, le vaillant grand maître réunit deux mille hommes d’infanterie de ses vassaux et trois cents hommes de cheval, soit de son ordre, soit séculiers… Vous savez que la croix rouge oblige à se battre tous ceux qui la portent, fussent-ils dans les ordres ; seulement ce ne devrait être que contre les Maures. Quoi qu’il en soit, le jeune grand maître partit vêtu d’une casaque verte brodée d’or, dont les manches étaient relevées d’une façon élégante ; il montait un fort cheval de bataille, gris pommelé, qui a bu l’eau du Guadalquivir, et connaît ses pâturages fertiles. La croupière était garnie en lanières de peau de buffle ; et la crinière, tressée avec des rubans blancs, était en harmonie avec les taches blanches dont le cheval se trouvait couvert. — À côté du grand-maître marchait Fernand Gomez votre seigneur, monté sur un cheval isabelle à crins noirs ; il portait une cotte de mailles turque, et sur son armure brillante flottait un riche manteau relevé de rubans orangés. Son casque, tout brillant d’or et de perles, était également orné de rubans de même couleur. Une attache mi-rouge et mi-blanche retenait à son bras le frêne qui lui sert de lance et qui est redouté jusqu’à Grenade. La ville entière se mit en défense ; les habitants disaient qu’ils ne voulaient point d’autre seigneur que le roi, et qu’ils défendaient leur patrimoine. Cependant, malgré leur résistance, le grand maître entra dans la place. Il fit trancher la tête aux plus rebelles, ainsi qu’à ceux qui l’avaient outragé. Quant aux mutins de la populace, il les fit fouetter publiquement, en ordonnant que leurs lèvres fussent serrées entre des tenailles. Bref, le vainqueur est maintenant si redouté et si estimé dans la ville, qu’on pense que celui qui dans un âge aussi tendre a su ainsi combattre, vaincre et punir, doit être un jour la terreur de la fertile Afrique, et assujettir les croissants d’azur à sa croix écarlate. Il a donné les plus grandes récompenses au commandeur et à tous ceux qui l’ont suivi : on eût dit qu’il voulait mettre au pillage non pas seulement la ville, mais ses propres biens. — Mais j’entends la musique. Recevez joyeusement votre maître ; car la bonne volonté des vassaux vaut mieux que tous les lauriers de la terre pour embellir le triomphe du seigneur.