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Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/164

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sympathie toute particulière qui les entraînera l’un vers l’autre la première fois qu’ils se verront.

On trouvera dans la pièce des détails curieux, des mots fort beaux ou fort spirituels, mais qui demandent un lecteur attentif, car il y a chez Lope une absence complète de toute charlatanerie. Je citerai, comme exemples, ces mots de Putiphar à sa sortie, dans la première journée, lorsque Joseph appelle sur lui les bénédictions du ciel et qu’il lui répond, qu’il (le ciel) nous protége tous deux ! au moment où sa femme médite une trahison qui doit être fatale à Joseph ; et ce passage de l’avant-dernière scène de la pièce, où Bato, le gracioso, après avoir annoncé à Jacob que Joseph est vivant et qu’il est vice-roi d’Égypte, se tourne vers les fils du vieillard en leur disant qu’ils peuvent raconter le reste.

Il y a plusieurs endroits où Lope n’a pas suivi scrupuleusement les indications de la Bible. On pourrait sur quelques points le justifier. Ainsi, dans la Bible, Joseph raconte un songe où il a vu le soleil, la lune et les étoiles qui l’adoraient ; sur quoi Jacob lui dit : « Donc, moi, ta mère et tes frères nous allons t’adorer ? » Dans la comédie Joseph parle seulement de la lune et de onze étoiles, ce qui représente Jacob et ses fils. C’est que le narrateur sacré a oublié qu’au moment du songe de Joseph, Rachel sa mère était morte depuis longtemps, tandis que Lope s’en est souvenu.

Les mœurs, comme le lecteur s’en apercevra aisément, ne sont pas toujours d’une rigoureuse vérité. Les idées modernes, et surtout les idées des Espagnols, leurs sentiments, leurs usages, interviennent plus d’une fois dans le drame biblique. Mais le grand peintre a mêlé et fondu tout cela avec un art admirable, et sous son habile pinceau toutes ces couleurs si diverses forment un ensemble harmonieux.

Il faut, d’ailleurs, avoir présent à l’esprit le costume sous lequel on jouait les pièces de ce genre. Voici, à mon avis, comment les principaux acteurs de la pièce étaient vêtus. — Jacob et ses fils, à l’exception de Benjamin, étaient habillés comme les juifs du seizième et du dix-septième siècle en Espagne. Benjamin était en berger coquet : un pourpoint et un haut-de-chausses de taffetas, un petit chapeau de feutre, des souliers de satin, et des rubans partout. — Joseph, au premier acte, portait par-dessus de pauvres vêtements un manteau à l’espagnole (una capa) tout usé, et dans les deux derniers actes, un costume de fantaisie assez semblable à celui que portaient sur notre théâtre, au dix-septième siècle, les héros de nos tragédies, Hippolyte ou Achille. Putiphar : un pourpoint tailladé, une cuirasse, un casque chargé de plumes, et des bottes à éperons. — Nicèle, femme de Putiphar : une robe de soie à vertugadin, et des patins de couleur rose. — Bato et Lida étaient habillés en paysans espagnols, etc., etc., etc. — Plusieurs de ces costumes sont presque indiqués par Lope lui-même dans le courant de la comédie, et nous oserions garantir l’exactitude des autres d’après ce qu’il a dit à ce sujet dans son Nouvel art dramatique.

Les Travaux de Jacob ne se trouvent point dans la liste du Peregrino, et sont, par conséquent, d’une date postérieure à 1603. Peut-être même cet ouvrage serait-il des dernières années de Lope. Deux choses nous porteraient à le croire : 1o Il a été imprimé dans la vingt-unième partie des comédies de Lope, qui parut en 1635, l’année même de sa mort ; 2o l’exposition, au lieu de se faire en action, selon la première manière de Lope, est en récit, et l’on a remarqué que notre poëte ne commença guère d’exposer ainsi son sujet que sous l’influence de l’exemple et du succès de Calderon, lequel était fort jeune encore en 1630, lorsque Lope renonça à travailler pour le théâtre[1].

  1. Il avait trente ans.