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Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/204

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Ruben.

Sauveur généreux, nous voici tous devant toi implorant ta sagesse et ta justice.

Siméon.

Et avec nous, monseigneur, est aussi celui au pouvoir duquel on a trouvé, hélas ! ta coupe précieuse.

Joseph.

Comment avez-vous commis un tel crime, ingrats envers les bontés dont je vous ai comblés ? Quoi ! vous venez de la terre de Canaan pour voler en Égypte ? Était-ce là la récompense que je devais attendre de vous ?

Ruben.

Seigneur, nous avons mérité d’être punis. Tous nous devons être condamnés. Qu’un fer brûlant nous imprime à tous sur le front la marque des esclaves[1].

Joseph.

Le ciel m’en préserve !… Seul il doit demeurer mon esclave l’audacieux qui, comme vous l’avez vu, s’est rendu coupable de ce crime abominable. Vous autres, vous pouvez vous en aller librement là où vit votre père.

Ruben.

Souverain vice-roi de cet illustre royaume, sauveur par ton nom et par tes actions, heureux prince qui mérites l’adoration des mortels ; ô toi dont le nom seul fait trembler les Mèdes et les Parthes, les Syriens et les Arméniens, nous venons de cette vallée héroïque dans laquelle Abraham vit jadis les trois jeunes hommes divine figure de la divine trinité qui est une seule essence et un seul Dieu. — Nous sommes venus, monseigneur, à cause que la stérilité était sur notre pays, que le printemps ne produisait plus d’herbes ni de fleurs, et que la terre ne nous fournissait plus notre subsistance. Ce fut notre bien-aimé père qui nous donna ce conseil. Toi, monseigneur, tu nous interrogeas sur notre situation, nous demandant quelle était notre famille, et si nous avions un père et des frères. Sur quoi nous t’avons répondu que nous avions un père fort avancé en âge, et un jeune frère qui était toute sa consolation, et né de la même mère, ainsi qu’un autre qui n’est plus… Cette mère se nommait Rachel ; elle était fort belle, mais ce qu’il y avait en elle de moins admirable, c’était sa beauté… Tu nous dis : « Amenez-le-moi ; car je désire le voir, et je saurai si vous dites ou non la vérité. » Je te répondis : « Il nous sera impossible de te l’amener ; car son absence tuerait le vieillard. » « Eh bien ! répliquas-tu, si je ne le vois point, vous ne verrez point mon visage. » Sur ce nous sommes partis, et nous avons parlé à Jacob ton serviteur, lequel est demeuré sus-

  1. Mot à mot : « Qu’un fer brûlant nous imprime à tous un S et un clou ! » En Espagne, on marquait ainsi les esclaves. Cet S et le clou (clavo) formaient une sorte de rébus qui voulait dire es-clavo (esclave).