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Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/272

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Scène II.

La rue des Armes. Il est nuit.


Entrent LÉONEL, DON JUAN et CHACON.
Léonel.

Enfin nous voici arrivés à votre centre. Grâces à Dieu, nous avons assez couru les rues de Séville.

Don Juan.

Le jour, je ne voudrais, pour rien au monde, m’approcher de la maison de l’ingrate que j’adore ; car elle pourrait croire que je viens la supplier. Mais la nuit je puis avoir cette consolation.

Chacon.

Maintenant que la fidélité et la vertu de votre dame nous sont démontrées, nous comprenons que vous retourniez auprès d’elle. Mais venir, la larme à l’œil et de gros soupirs sur les lèvres, adorer ces balcons et leur faire humblement la révérence comme à la coupe du roi, en vérité, c’est une folie[1].

Don Juan.

Et une comparaison dans le goût de la tienne n’est qu’une sottise.

Chacon.

Mieux vaut encore dire des sottises que d’en faire.

Léonel.

Mais, animal que tu es, n’est-il pas juste et convenable de saluer le balcon de celle qu’on aime ?

Chacon.

Oui, fort bien, mais dans d’autres circonstances.

Léonel.

Et quand le roi boit !

Chacon.

Pas davantage. Quand sa majesté boit, tous les gens de service s’inclinent en jetant en arrière la partie postérieure du corps. Or une assemblée tout entière dans cette posture, cela peut avoir des inconvénients… surtout dans le temps des marrons[2].

Léonel.

Laisse-là tes sottises, et réveille notre maître, qui est plongé dans une sorte d’extase.

Chacon.

Holà, monseigneur ! Holà, seigneur don Juan ? que voyez-vous à ce balcon ?

  1. La coupe du roi est en Espagne l’objet d’un respect tout particulier. Quand on la porte à la table du roi, et que l’huissier annonce la copa ! (la coupe !) tous ceux devant qui elle passe s’inclinent humblement, et demeurent dans cette posture jusqu’à ce que la copa soit à une certaine distance.
  2. Nous supprimons le développement, le trait final de cette plaisanterie déjà suffisamment hasardée.