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Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/93

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qui m’amène. — J’étais allé sur le port afin de savoir des nouvelles d’un de mes compatriotes qui vient me chercher à Palerme avec d’assez mauvaises intentions, lorsqu’un navire valencien qui mettait à la voile a attiré mes regards. Tandis que je m’amusais à suivre des yeux la manœuvre des matelots, deux hommes se sont approchés de moi, et l’un d’eux m’a donné une lettre, en me priant de la remettre moi-même demain matin à Phénice. Je lui ai répondu que je m’acquitterais de sa commission fidèlement. Là dessus les deux hommes, dont l’un semblait être le maître de l’autre, se sont jetés dans une barque en riant, et ils ont gagné le vaisseau en riant toujours. Puis les voiles du vaisseau se sont déployées, il a quitté le rivage en se balançant, et je n’ai pas tardé à le perdre de vue… Inquiet sur le contenu de cette lettre, j’ai cru devoir vous l’apporter sans attendre davantage. La voici.

Phénice, en prenant la lettre.

Je crains un malheur ; je n’ose ouvrir cette lettre. (Donnant la lettre à Osorio.) Ouvrez-la, capitaine.

Le Capitaine.

Voici ce qu’elle dit. (Lisant.) « S’il vous en souvient, ma petite harpie, vous avez pêché naguère deux mille écus avec votre hameçon, votre déguisement de deuil et vos larmes feintes… »

Phénice.

Ah ! Lucindo !

Le Capitaine.

Laissez-moi donc achever. (Lisant.) « Mais j’ai opposé la ruse à la ruse, et j’ai recouvré mon argent, et je me suis vengé… »

Phénice.

Comment ? de quelle façon ?

Le Capitaine.

Nous allons voir. (Lisant.) « Vous saurez, ma belle ennemie, que les marchandises renfermées dans le magasin ne sont qu’une fiction comme vos larmes et votre deuil. Les caisses ne contiennent en tout et pour tout, sous le couvercle, que six aunes de drap, et les tonneaux sont remplis d’eau. Le premier seulement, qui est le plus près de la porte, vous fournira dix livres d’huile de première qualité. Vous m’aviez dérobé deux mille ducats, et je vous en prends trois mille, gardant l’excédant de cette dernière somme pour le change, la commission et les frais de transport. Adieu, ma belle ennemie ; je vous paye en votre monnaie, mensonges pour mensonges. »

Phénice.

Ô l’infâme brigand !… Laissez-moi courir à sa poursuite.

Albano.

Ce serait une peine inutile ; le vaisseau est au moins à dix lieues du port.