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Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/32

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La pitié qui fait mal et console ! ai-je été assez la dupe de cette impitoyable pitié et, pour avoir voulu consoler et guérir, je me suis blessé, meurtri et infecté moi-même.

Oh ! la reconstitution des vieux rêves et la guérison des jeunes cœurs, tâche entre toutes délicate et périlleuse à qui veut l’entreprendre ! Comme il faut être sûr de soi pour oser descendre dans un passé de souffrance et d’amour !

Oh ! contagieuse émotion des larmes ! on ne revit pas impunément les tristesses et les regrets d’une femme de vingt-huit ans et, pour m’être penché avec une tendresse un peu curieuse et perverse peut-être dans son apitoiement sur une vie qu’on me voulait cacher, voilà que cette existence inconnue est entrée maintenant dans la mienne, que ses regrets sont devenus les miens, que ses détresses ont pris corps dans mes angoisses et que je suis à jamais rivé au destin d’une étrangère, d’une imposteuse, dont je ne sais rien de rien et qui sait tout de moi, qui m’a volé ma pitié, comme mon amour, ma confiance et la sécurité de ma vie ; car elle mentait et elle a toujours menti, comme elle ment encore aujourd’hui dans son absence, son absence qui est à la fois une lâcheté, un mensonge