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Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/89

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trempés de larmes dont il vantait avec des yeux amincis de luxure la saveur chaude et salée. J’avais enfin le secret de cette âme compatissante et férocement bonne : les tristesses, les sanglots, les regrets, les détresses de cœur, voilà l’atmosphère où se complaisait cette cruauté sensuelle et fine, si facilement apitoyée.

Cléopâtre buvait bien des perles. Pourquoi n’aurait-il pas bu, lui, le sang d’une âme ? Et des détails me revenant de la vie qu’il avait fait mener près de deux ans à sa maîtresse, la condamnant à des auditions de pièces tragiquement amoureuses et mélodramatiques, dont la pauvre fille revenait bouleversée avec des regards éperdus de suppliciée : le cher ami au courant de l’aventure de la malheureuse se plaisait à la faire revivre ses angoisses d’amour et les tortures de son passé.

Le cas, d’ailleurs, n’est pas isolé et l’espèce on est assez nombreuse de ces modernes saint Vincent-de-Paul du sentiment, toujours à la recherche d’âmes souffrantes, prêts à tous les dévouements pour les guérir et consoler. Cette passion de charité un peu effrayante n’est, au fond, qu’un sadisme délicat et pervers de raffiné épris de tortures et de larmes.