Aller au contenu

Page:Loti - La troisième jeunesse de Madame Prune, 1905.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

combat. Pas un souffle ; l’atmosphère à peine froide, tant elle était immobile. Un ciel bas et plombé ; les montagnes aussi, plombées ; toutes les choses terrestres, figées sous les nuances de plomb et d’encre que donne le voisinage trop éclatant de la neige. Derrière moi cette ville, en voie d’étonnante transformation, allumait ses lanternes anciennes à côté de ses lampes électriques. Sur la rade, pareille à une grande glace incolore, les navires, posés comme des insectes noirs, allumaient leurs feux pour la nuit ; ils étaient immobiles, comme l’air et comme tout, mais cela semblait une immobilité d’attente, on eût dit qu’ils se recueillaient pour des événements prochains et des batailles ; tant de cuirassés, réunis en Extrême-Orient, tant de croiseurs, de torpilleurs appartenant à toutes les nations d’Europe, donnaient ce soir, au milieu de cet immense calme réfléchi, le pressentiment que l’histoire du monde approchait de quelque tournant grave et décisif…

Cette route solitaire me conduisait à l’hôpital russe, où j’allais prendre don Jaime de Bourbon, et nous devions retourner ensemble, dans