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Page:Loti - La troisième jeunesse de Madame Prune, 1905.djvu/332

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moi, tandis que j’étais assis tout au bord du chemin, sous la véranda d’une maison-de-thé isolée, misérable et de mauvais aspect, où l’on avait paru très surpris de me voir. Ils passaient chacun dans une espèce de grande cuve enveloppée de drap blanc et attachée à un bâton que deux portefaix à mine spéciale tenaient sur l’épaule. Sans cortège, seuls et sournois, ils allaient se faire brûler, un peu plus haut, dans la brousse, me frôlant presque de leur linceul drapé, — moi qui ne savais pas, moi qui trouvais seulement un peu étranges et inquiétantes ces cuves enveloppées, allant toutes vers le même endroit comme à un rendez-vous. Au cinquième qui passa, le brusque soupçon vint me faire frissonner : j’avais senti une odeur de pourriture humaine.

— Qu’est-ce qu’ils emportent, ces hommes ? demandai-je à la vieille pauvresse qui versait mon thé.

— Comment, tu ne sais pas ?

Et elle acheva sa réponse par une plaisanterie macabre, fermant les yeux, ouvrant sa bouche édentée et s’affaissant tout de travers,