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Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/196

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et nous l’avions suivi par inquiétude de ce qu’il allait faire.

Quand nous arrivâmes après lui à la chaumière des vieux Keremenen, nous le vîmes qui avait jeté à terre sa belle chemise blanche et ses beaux habits de mariage ; le torse nu, comme se mettent les matelots à bord pour la tenue du matin, il cherchait partout son tricot de marin qu’on lui avait caché.

— Seigneur Jésus, mon Dieu ! ayez pitié de nous, disait Marie, se femme, en joignant ses pauvres mains pâles de convalescente. Comment cela s’est-il fait, seigneur ? Car enfin il n’a pas bu ! Ô monsieur, empêchez-le, suppliait-elle en s’adressant à moi. Et qu’est-ce qu’on va dire dans Toulven quand il passera, de voir que mon mari a voulu me quitter !

En effet, Yves avait très peu bu ; le contentement, sans doute, lui avait tourné la tête à ce dîner, et, de plus, nous lui avions fait faire une course au grand soleil ; il n’y avait pas tout à fait de sa faute.

Quelquefois, — rarement il est vrai, — avec beaucoup de douceur, on pouvait l’arrêter encore ; je savais cela, mais je ne me sentais pas capable aujourd’hui d’employer ce moyen. Non, c’était trop,