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Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/43

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méchant ; et Barrada, qui le connaissait bien, comprit qu’en effet il fallait le laisser.

Yves détourna la tête et se cacha d’abord le visage sous ses deux bras relevés ; puis, craignant que Barrada ne s’imaginât qu’il pleurait, par fierté il changea sa pose et regarda devant lui. Ses yeux, dans leur atonie fatiguée, gardaient une fixité farouche, et sa lèvre, plus avancée que de coutume, exprimait ce défi de sauvage qu’en lui-même il jetait à tout. Dans sa tête il formait de mauvais projets ; des idées conçues déjà autrefois, à des heures de rébellion et de ténèbres lui étaient revenues.

Oui, il s’en irait, comme son frère Goulven, comme ses frères ; cette fois, c’était bien décidé et bien fini. La vie de ces forbans qu’il avait rencontrés sur les baleiniers d’Océanie, ou dans les lieux de plaisir des villes de la Plata, cette vie aux hasards de la mer sans loi et sans frein, depuis longtemps l’attirait : c’était dans son sang d’ailleurs, c’était de famille.

Déserter pour aller naviguer au commerce à l’étranger, ou faire la grande pêche, c’est toujours le rêve qui obsède les matelots, et les meilleurs surtout, dans leurs moments de révolte.