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Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/158

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LE ROMAN D’UN ENFANT

diriger vers cette assise lointaine de rochers qui fermait là-bas les prairies, vers cette région des chênes et des pierres, où la Limoise est située et que mon imagination d’alors grandissait étrangement.

La rivière qu’il fallait traverser était au bout de l’avenue si droite de ces vieux arbres, que rongeaient les lichens couleur d’or et que tourmentaient les vents d’ouest. Très changeante, cette rivière, soumise aux marées et à tous les caprices de l’Océan voisin. Nous la passions dans un bac ou dans une yole, toujours avec les mêmes bateliers de tout temps connus, anciens matelots aux barbes blanches et aux figures noircies de soleil.

Sur l’autre rive, la rive des pierres, j’avais l’illusion d’un recul subit de la ville que nous venions de quitter et dont les remparts gris se voyaient encore ; dans ma petite tête, les distances s’exagéraient brusquement, les lointains fuyaient. C’est qu’aussi tout était changé, le sol, les herbes, les fleurettes sauvages et les papillons qui venaient s’y poser ; rien n’était plus ici comme dans ces abords de la ville, marais et prairies, où se faisaient mes promenades des autres jours de la semaine. Et ces différences que d’autres n’auraient pas aperçues devaient me frapper et me charmer beaucoup, moi qui perdais mon temps à observer si minutieusement les plus infimes petites